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III


On a vu l’origine et la nature du mal. Cherchons les remèdes. L’abolition nécessaire de l’article 10 n’achèvera pas la tâche. Lorsque, dans un vieux navire qui a longtemps navigué, une voie d’eau est fermée, tout n’est pas terminé et l’équipage n’a pas droit au repos. Nous nous sommes longtemps attardés sur une seule disposition de nos lois. Supposons qu’elle est abolie, et voyons ce qui, dans nos Codes, menace encore nos libertés.

L’arrestation, nous le confessons, n’est pas ce qui nous blesse : ce que nous ne pouvons admettre, c’est la détention, ne fût-elle que de quelques heures, sans intervention d’un magistrat. Si tout citoyen arrêté est conduit, aussitôt après la capture, devant un magistrat qui l’interroge, si la détention ne peut être ordonnée que par un juge, avec toutes les formes de la justice, assurément des erreurs pourront encore se produire, mais elles seront aussi rares que le permet la faillibilité humaine.

La fameuse règle de l’interrogatoire dans les vingt-quatre heures que réclamait le Tiers État aux États généraux de 1614, que proclamait l’ordonnance de 1629, et, sous la Fronde, le traité de Saint-Germain[1], a été reproduite dans le Code d’Instruction criminelle (art. 93), mais il faut donner à ce texte toute l’importance d’une garantie fondamentale[2]. L’entrée du détenu dans le cabinet du juge ne doit pas donner lieu à quelques-unes de ces mentions banales que la pratique réduit et dédaigne sous le nom d’« interrogatoire de forme. » Ce premier contact entre le magistrat et l’homme arrêté, c’est la fin de l’acte de force qui a privé un individu de sa liberté, c’est le commencement de l’œuvre de justice, c’est-à-dire de la recherche libre et désintéressée de la vérité à l’égard d’un homme qui est présumé innocent. Il doit donc être impérieusement prescrit que tout mandat ait pour effet d’amener sur-le-champ l’individu arrêté devant le juge et au plus tard dans les vingt-quatre heures. L’interrogatoire portera la date et l’heure où il aura été subi, et devra contenir, avec la vérification de l’identité et la qualification de l’in-

  1. Voir notre Histoire des États généraux, tome IV, p. 477.
  2. De 1808 jusqu’en 1879, il n’y a eu que deux gardes des Sceaux qui aient eu l’honneur de faire respecter à Paris la règle de l’interrogatoire dans les vingt-quatre heures : M. Pasquier en 1818, et M. Dufaure, d’accord avec M. Albert Gigot, en 1878.