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militait en faveur de cette thèse, la philosophie de Rousseau achevait de la consacrer, et les souverains laïques la prétendaient faire prévaloir.

Les princes-archevêques et princes-évêques, à leur tour, eussent pu s’en faire une arme, pour régenter, comme bon leur semblait, la discipline et la foi, dans les territoires, souvent fort étendus, sur lesquels s’exerçait leur autorité temporelle. Si l’on admettait que, maîtres absolus du sol, ils étaient en même temps maîtres absolus des âmes, n’étaient-ils pas libres de les préserver contre l’influence romaine ? Et ne pouvaient-ils pas, à l’abri de leur sceptre, maintenir leur crosse indépendante du Pape ? Mais l’argument était à deux tranchans ; car en dehors de ces morceaux de terre sur lesquels pesait leur double droit de souverains et de pasteurs, leur juridiction spirituelle englobait, par surcroît, certaines principautés laïques avoisinantes ; et le système en vertu duquel le possesseur de la terre est propriétaire des âmes pouvait, si les princes laïques le voulaient appliquer jusqu’au bout, paralyser ou supprimer, sur leurs domaines, la suprématie pastorale des princes-évêques d’alentour. Ainsi la même dialectique qui eût permis à ces dignitaires d’Eglise de se transformer, sur leurs propres terres, en véritables autocrates et de faire bon marché du Pape, les eût exposés, hors de leurs terres, à d’irréparables humiliations, en permettant au pouvoir laïque de faire bon marché de leurs crosses.

Aussi les électeurs ecclésiastiques et les prélats qui suivaient leur exemple aimaient-ils mieux objecter au Saint-Siège leurs droits d’évêques que leurs droits de souverains. Dans leur lutte contre Rome, ils préféraient aux argumens d’ordre juridique les argumens d’ordre canonique, procurés à profusion par les textes conciliaires du XVe siècle et par les publications gallicanes de l’âge postérieur. Si le Pape, quand même, continuait à prendre des privautés, ils en seraient quittes, ensuite, pour lui signifier qu’au demeurant les consciences de leurs sujets leur appartenaient ; mais puisqu’ils trouvaient dans les conciles de Constance et de Bâle de subtils considérans pour maintenir à une respectueuse distance leur éminent collègue du Vatican, l’expérience valait la peine d’être tentée. Cette expérience s’appela le fébronianisme.

« De la constitution de l’Eglise et de la légitime puissance du Pontife romain. Livre composé pour la réunion des