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dont on l’entourait l’estime qu’il inspirait, prosternait devant Napoléon, « prince protecteur, » son hommage reconnaissant, et tressait, tantôt à Périclès, tantôt à Charlemagne, des couronnes de fleurs un peu vieillottes, avec l’espoir que l’Empereur saisirait les allusions, et qu’il les agréerait. Napoléon laissait faire, méprisant en Dalberg l’homme d’Eglise qu’il oubliait d’être, l’homme d’État qu’il s’efforçait d’être, l’idéologue qu’il était. Il n’avait cure de ses complimens, ne se souciait que de ses services, et obtenait les uns et les autres.

Dalberg fut le plus obéissant des primats : il poussa la docilité à l’endroit de l’Empereur jusqu’à comprendre, lui, nourri dans les doctrines fébroniennes, que l’Allemagne, pour le règlement de ses choses d’Eglise, devait invoquer la collaboration « ultra-montaine » du Pape. La nécessité où il se trouva, et qu’il accepta d’ailleurs volontiers, de se ranger aux vues de l’Empereur désarma sa mauvaise humeur de théoricien contre cette centralisation de l’Église romaine, dont un spéculatif comme Febronius pouvait bien discuter sur le papier les origines historiques, mais avec laquelle un réaliste comme Bonaparte jugeait opportun de compter pour l’élaboration des réalités du lendemain.


V

Poussé jusqu’à ses dernières conséquences, le fébronianisme en Allemagne, comme le gallicanisme en France, eût fait affront au vieux principe chrétien de la distinction des deux pouvoirs, de la dualité entre Dieu et César. Mais ce vieux principe avait une si robuste vertu, que l’on sentait, aux heures de crise, le besoin de recourir au vicaire de Dieu, et non point seulement aux ministres de César, pour la restauration de l’établissement religieux. La soupçonneuse Église gallicane et la soupçonneuse Eglise germanique, subitement asphyxiées sous les monceaux de ruines qu’accumulait la Révolution, laissèrent pénétrer la puissance papale près de leur chevet de moribondes, pour qu’elle les aidât à recouvrer quelque liberté de respiration, quelque élasticité d’action, quelque renouveau de vie. En France, la centralisation même de l’État facilita l’entente avec Pie VII : le Concordat fut rapidement négocié. Au contraire, la complexité du vieil Empire, la fragilité de ses assises, le besoin d’autonomie auquel s’abandonnaient les membres du Corps germanique, et