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économique, à contracter une union douanière avec ses colonies, à sacrifier à l’impérialisme le traditionnel libre-échange qui, depuis cinquante ans, assurait la prospérité et passait pour le fondement le plus solide de la grandeur britannique.

Ainsi l’impérialisme est plus audacieux que jamais ; et cependant divers incidens : le peu de résultats de cette conférence coloniale dont on attendait tant, une série d’élections partielles défavorables au gouvernement en Angleterre, de nombreuses manifestations d’opinion aux colonies, semblent prouver que cette doctrine ne jouit déjà plus dans l’opinion de la même faveur que naguère. D’où vient cette antinomie entre les tendances des gouvernans, plus impérialistes que jamais, et celles des gouvernés qui paraissent hésiter à les suivre, et où cela va-t-il mener la Grande-Bretagne ? Il faut, si l’on veut essayer de s’en rendre compte, se souvenir d’abord des causes qui ont déterminé l’essor de l’impérialisme, puis rechercher les motifs et noter les symptômes de l’hésitation qui se manifeste en certains milieux que la nouvelle doctrine avait si rapidement conquis.


I

L’impérialisme, on le sait, a été l’œuvre des trente dernières années. Au milieu du XIXe siècle, ce n’était pas seulement Cobden qui prêchait l’abandon de l’Inde, que l’Angleterre, disait-il, ne faisait qu’opprimer. « Ces misérables colonies, qui sont une pierre à notre cou, seront indépendantes dans un petit nombre d’années, » écrivait en 1852, dans une lettre à lord Malmesbury[1], Disraeli lui-même, qui devait mériter plus tard le nom de père de l’impérialisme. Dans les archives du Parlement se trouve encore une proposition de loi élaborée vers cette époque, où provision est faite pour la séparation éventuelle des diverses colonies, et leur érection en États indépendans, « fin naturelle d’une union essentiellement temporaire. » En 1867, lorsqu’on discutait, à la Chambre des communes, une garantie d’intérêt pour le chemin de fer de Québec à Halifax, qui devait éviter aux Canadiens l’obligation de passer par les voies ferrées américaines, un député, M. Cave, pouvait dire encore, sans soulever de scandale, « qu’au lieu de donner ces trois millions sterling pour

  1. Datée du 13 août 1852, citée dans la Quarterly Review de juillet 1902 : The colonial Conference ; p. 316.