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À ces changemens dans les mots en correspondent d’aussi grands dans les faits. Par une évolution de plus en plus rapide, depuis 1880 et surtout depuis la grande réaction conservatrice et unioniste de 1885, les Anglais en sont venus à attacher une importance capitale à cet Empire dont ils faisaient jadis si bon marché : ils considéreraient comme une catastrophe sans nom la perte de ces colonies, dont ils souhaitaient naguère d’être délivrés.

Pour comprendre ce changement, il ne faut pas considérer l’Angleterre seule, mais le monde, qui est fort différent aujourd’hui de ce qu’il était en 1860 ou en 1870. Il n’est plus vrai de dire, — il ne l’était plus du moins à la veille de la guerre du Transvaal, — « que les grandes colonies coûtent beaucoup à la métropole ; qu’elles constituent un simple ornement, une source de responsabilités inutiles ; » ni surtout « que le monde entier est le marché de la Grande-Bretagne. » De hauts tarifs de douane sont venus fermer à l’Angleterre une foule de débouchés ; et, sur ceux qui lui restent ouverts, jusque chez elle-même, elle doit subir la concurrence de nouvelles nations industrielles. Est-il surprenant, dès lors, qu’elle se retourne vers ses colonies, vers ces marchés où du moins ses rivaux ne reçoivent pas de faveurs, qu’elle cherche même, pour s’y assurer un traitement privilégié, à resserrer les liens qui les unissent à elle ?

Comme la supériorité économique de l’Angleterre, sa puissance maritime est menacée : tous les grands États se construisent des flottes, et les escadres britanniques, très supérieures encore à celles de chacun des autres pays, risquent de ne l’être plus en face de la coalition, toujours possible, de plusieurs marines réunies. Pour maintenir, même dans ce cas, la supériorité qui fait la puissance, qui est même la sauvegarde essentielle de la Grande-Bretagne, le meilleur moyen ne serait-il pas d’avoir recours aux colonies, d’obtenir que, devenues riches et puissantes, elles contribuent à l’entretien d’une marine qui ne leur est pas moins utile qu’à la mère patrie, et qu’on pourrait, avec leur aide, rendre plus forte que jamais ?

D’ailleurs, si la séparation des colonies pouvait sembler inéluctable, au milieu du XIXe siècle, après l’expérience faite en Amérique par la France, l’Espagne, le Portugal, et l’Angleterre même, il en est autrement aujourd’hui. La colonisation n’apparaît plus comme un phénomène du passé ; tous les grands peuples s’y sont mis ou remis. Ce peut être pour la