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fort peu, tandis qu’au point de vue de la défense impériale, les colonies n’entendent pas assumer de nouvelles charges.

Ce n’est pas qu’elles aient de répugnance de principe à une coopération militaire avec la métropole ; elles l’ont bien montré dans la guerre sud-africaine. Mais elles entendent rester maîtresses de ne la donner que s’il leur plaît, et dans la mesure où il leur convient. S’engager d’une manière permanente à fournir des subsides à la marine, des contingens à l’armée serait à leurs yeux non seulement se grever de charges très lourdes, mais renoncer à une part de leur autonomie. Pour la même raison encore, elles répugnent à se lier en matière douanière. L’impérialisme est pour elles un moyen de développer leur personnalité, non de s’entourer de lisières.

Au point de vue politique, ceci engendre des contradictions. Les colonies voudraient exercer une action plus directe et plus intense sur la conduite des affaires impériales ; mais elles le voudraient pour mieux assurer la défense de leurs intérêts, pour faire prévaloir leurs vues, pour augmenter leur pouvoir et leur liberté d’allures. Elles rejettent, au contraire, tout ce qui pourrait limiter cette liberté, amener l’intervention directe ou indirecte d’autrui dans leurs affaires intérieures. Or, n’est-ce pas à cela que tendraient presque nécessairement des institutions fédérales ? Aussi peut-on se demander si cette fédération impériale, qu’appellent les vœux des impérialistes les plus ardens de la métropole, n’irait pas précisément à l’encontre du but que poursuivent les impérialistes coloniaux.

Dans les premières phases du mouvement impérialiste, ces malentendus, ces divergences entre les aspirations, encore incomplètement formulées, des colonies et de la métropole n’apparaissaient pas. La conception impérialiste était grandiose et parlait à l’imagination, aussi bien dans la mère patrie que dans ses lointaines dépendances. Par réaction contre les idées régnantes du milieu du siècle, on s’étonnait, on s’indignait qu’on eût pu méconnaître la valeur des colonies. Loin d’insister sur la fragilité de l’Empire, les historiens les plus éminens, Seeley, Froude, démontraient que ce n’était point par hasard, mais par des raisons profondes et durables, que la Plus Grande Bretagne avait survécu à la Plus Grande France, au Plus Grand Portugal, à la Plus Grande Espagne, que rien ne s’opposait à ce qu’elle continuât à vivre, qu’elle pouvait et devait donc s’organiser.