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part à une guerre faite par l’Angleterre, le peuple canadien agira comme il l’entendra. Il va de soi que, si votre concours militaire devait être considéré comme obligatoire, — ce qui n’est pas aujourd’hui, — je dirais à la Grande-Bretagne : « Si vous voulez notre aide, appelez-nous dans vos conseils. » La crainte d’exposer à la guerre un pays assez heureux pour ne connaître ni ce fléau ni les charges qu’il impose n’était pas la seule raison qui éloignât M. Laurier de toute idée de coopération militaire obligatoire avec la mère patrie. Il y voyait aussi le germe d’une immixtion de l’Angleterre dans les affaires intérieures du Canada ; or, à cet endroit, sa susceptibilité est extrême ; il devait le montrer dans les discussions de la conférence.

La personnalité de sir Edmund Barton, qui représentait l’Australie, n’était pas aussi marquante que celle de M. Laurier, mais il suffisait, pour donner du poids à ses paroles, qu’il parlât au nom des 3 800 000 âmes de l’Ile-Continent, dont la prospérité, jadis si brillante, est bien atteinte aujourd’hui, mais auxquelles la conscience de leur unité réalisée donne une confiance nouvelle. Le Premier du Commonwealth ne parut guère moins hostile à tout ce qui pourrait restreindre l’autonomie coloniale que celui du Dominion. A peine arrivé en Angleterre, il s’élevait vivement contre la suspension de la constitution du Cap que demandaient les ultra-loyalistes de cette colonie, lord Milner à leur tête : « L’opinion unanime de tous les Anglo-Saxons répandus à travers le monde, c’est, disait-il, qu’on ne doit jamais toucher aux libertés, aux franchises, aux institutions représentatives d’une colonie ; un si dangereux précédent susciterait dans tout l’Empire les plus vives alarmes, éveillerait les plus graves soupçons. »

En face de ces défenseurs ombrageux du particularisme colonial, que les projets de fédération devaient naturellement effrayer parce qu’il n’était guère possible de les concilier avec l’absolu respect des autonomies locales, l’impérialisme pur avait un défenseur en la personne de M. Seddon, Premier de la Nouvelle-Zélande. Cette colonie, qui a moins de 800 000 habitans, est loin d’avoir l’importance de l’Australie et du Canada ; mais elle s’en croit une très grande : socialiste d’Etat et féministe, elle prétend guider le monde dans la voie du progrès en lui montrant comme phare son suffrage des femmes, sa journée de huit heures, ses salaires réglés par la loi, son arbitrage obligatoire, ses impôts