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prix de vente, ce qui ferait perdre à l’industrie anglaise, talonnée par la concurrence étrangère, un certain nombre de débouchés, tandis que d’autres seraient fermés par les surtaxes douanières, que ne manqueraient pas d’infliger aux produits britanniques, en guise de représailles, les pays lésés par la protection accordée aux colonies. Aux 1 200 millions que le Royaume-Uni exporte dans ses colonies autonomes on sacrifierait ainsi les 4 milliards et demi qu’il envoie à l’étranger et tout le fructueux commerce de réexportation que l’Angleterre doit à la liberté commerciale qui en fait le grand entrepôt du monde. Il s’écoulerait longtemps avant que ces colonies avec leurs 11 millions d’habitans blancs augmentent assez leur consommation de produits britanniques pour compenser les pertes subies sur les marchés extérieurs, bien plus vastes et dont la population s’accroît au moins aussi rapidement.

Ainsi l’impérialisme, qui ne pourrait réaliser son but qu’en rétablissant le protectionnisme, préparerait la ruine, et non le relèvement de la puissance économique de la Grande-Bretagne.

C’est, à vrai dire, une conception tout à fait erronée, et non seulement au point de vue économique, mais au point de vue militaire, au point de vue politique, que celle qui fait de l’impérialisme un moyen, pour l’Angleterre, de s’adapter au monde transformé du XXe siècle, de façon à y retrouver le degré de puissance qu’elle avait au milieu du XIXe. Un tel but est chimérique. Nous ne voudrions pas prononcer ici le mot de décadence en parlant de nos voisins d’outre-Manche. On l’a fait trop souvent, et trop tôt. Il y a cinquante ans, Ledru-Rollin a écrit un livre sur la décadence de l’Angleterre au début de la période la plus brillante de son histoire ; mais enfin, aujourd’hui, s’il n’y a pas, à proprement parler, décadence de l’Angleterre, il y a un déclin relatif de sa puissance. Les raisons en sont profondes, quoique simples, et l’impérialisme n’y peut rien.

La grandeur de l’Angleterre a une double base : sa richesse économique et sa puissance maritime, intimement liée à sa situation insulaire. La première n’a pas décru, mais autour d’elle sont nées des rivales. La houille et le fer sont comme le sang et les muscles de l’industrie moderne. La Grande-Bretagne en produit plus que jamais : de 67 millions de tonnes en 1857, sa production houillère est passée à 123 millions en 1872, à 220 millions en 1901 ; mais, en 1857, cette production représentait 54 pour 100