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étrangement fort, irritant et tenace, providentiel sans doute dans le mal comme dans le bien, et peut-être indispensable à la marche de la pensée sur la terre. Car ils semblent chargés de préparer ou d’annoncer pour l’avenir, de promener avec persistance à travers le monde moderne où ils passent dispersés partout, mais unis toujours, l’idée d’une société plus cosmopolite et d’une humanité plus ouverte, comme leurs ancêtres, dans le monde ancien, avaient, parmi la foule des dieux, obstinément promené Dieu.

Cette puissance mystérieuse, féconde et corruptrice, du commerce et de l’échange, cette « force sacrée de l’or » qui fit et défit la cité antique au profit de cette association plus grande qui est la nation moderne, les Phéniciens, seuls dans l’antiquité, la connurent, sans en soupçonner sans doute tout le sens mythique et social, et l’exercèrent pendant des siècles sur la Grèce naissante. Ils ne furent, à aucun degré, des créateurs, — les monumens retrouvés le prouvent, — mais des intermédiaires merveilleux, qu’il faut remercier grandement, d’indispensables « commissionnaires d’idées. » A l’impulsion vivifiante que donne leur passage à travers les îles, et plus tard jusque dans la Grèce continentale, succéderont bientôt les efforts indigènes, et, de la richesse croissante parmi les cités nouvelles, voisines et rivales, les « besoins de beauté » feront naître les artistes, après les héros, et près des poètes.

Une des différences les plus frappantes, entre l’art égyptien, considéré comme beaucoup plus ancien, et l’art grec, comme plus moderne et plus voisin de notre âme actuelle, c’est que l’un resta comme immobilisé dans ses règles mêmes, et que l’autre progressa sans cesse, — parallèlement à l’affranchissement des esprits, — vers une plus humaine liberté. Il est certain que la sculpture égyptienne resta attachée à des traditions immuables, presque à d’étroites habitudes d’art, que jamais, à travers de longs siècles de prospérité et de travail, elle ne voulut ou ne sut quitter. Les Égyptiens se formèrent et gardèrent a tout jamais de l’être humain un type conventionnel, de majesté tranquille et précise, dont ils firent, sans cesse et sans lassitude, en l’agrandissant démesurément ou en le diminuant sans nulle modification, le dieu, l’homme, ou l’enfant. L’être, pour eux, restait sculpturalement à l’âge toujours de l’adolescente beauté ; à l’âge où il importait qu’il fût reconnu un jour par les dieux dans