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« chiton » gonfles par le vent. L’Argien Polyclète, plus sévère, continue la tradition du Péloponèse, en exécutant des statues d’athlètes. Négligeant les grandes envolées de draperies, renonçant bientôt à la manière chryséléphantine, cette forme ultime et merveilleuse de l’art polychrome appliqué à la statuaire, il revient à la pure étude de l’homme, résume en une étude profonde, presque scientifique, tous les efforts de l’école, crée un type dont toute l’antiquité se servira et abusera, le célèbre, — trop célèbre, — Doryphore, en fait le « canon » des proportions de l’homme adolescent, et écrit un traité sur le tout. C’est bien là le résumé et la fin d’une école.

Au IVe siècle, en effet, tout change en Grèce, — l’art avec la politique et le goût avec les idées. De plus en plus la passion de la réalité entraîne les sculpteurs vers la représentation des mouvemens libres et justes, familiers même. Et, du même coup, naît la statuaire intime, l’art charmant des figurines. Les déesses spirituelles, avec les fins éphèbes, sont descendues des frises et des vases, et courent les rues d’Athènes ou les chemins de Béotie. Les coroplastes, — les « modeleurs de poupées, » comme ils s’appelaient eux-mêmes, — encombrent de leurs petites boutiques, bien achalandées, les ruelles du Céramique, à Athènes. Leur commerce, amusant la foule et bientôt populaire, anime, enrichit, illustre même les jolis bourgs béotiens, aux noms charmans, de Tanagra, d’Audlis et de Thisbé[1]. L’art se popularise, et se vend au détail. C’est le signe des temps complets, mais aussi le péril mortel à toute supériorité. Tout art qu’on peut vulgariser est celui qui venait d’être nécessaire, celui qui avait seul ce que j’ai appelé le « consentement du peuple, » intérieure et comme secrète raison de vérité, mais combien passagère, puisqu’elle ne suffira plus peut-être à la génération suivante et mourra de sa floraison même. La rançon de la gloire, pour les œuvres certainement comme pour les individus, c’est la dangereuse popularité, et c’est l’inévitable vulgarisation, — les chromos des peintres et l’orgue de Barbarie des musiciens aujourd’hui, comme jadis, en Grèce ou à Rome, les terres cuites à la douzaine. Mais ce danger, comme cette gloire, ne vient

  1. Un siècle plus tard, cette industrie toute spéciale, qui fut si connue et si féconde, dans toute l’antiquité grecque, se transporta en Asie Mineure, et les nécropoles de Myrrhina, en Éolide, ont livré le plus fin trésor qui soit, de figurines alertes, ingénieuses imitations des grandes statues alors célèbres.