Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a encore, — je demande ici quelles sont leur volonté et leur foi dans l’effort contemporain, et la raison d’être de cet effort même, et sa signification morale dans le milieu social qu’ils habitent, et reflètent ? Car, enfin, la loi de croissance, en esprit et en vérité, pour l’art comme pour les individus, est toujours la même : à la foi religieuse, ardente et créatrice, correspondent les périodes d’art sincère et touchant, à formes hiératiques, à timide et naïf métier. Puis la raison se dégage des formules mystiques, l’esprit « se fait homme, » et librement proclame son Dieu, le regarde en face, et sculpte, peint ou chante les héros. C’est l’heure unique, de sagesse merveilleusement saturée d’idéal, où passent les Myron et les Phidias, les Donatello et les Michel-Ange, et plus tard, dans une autre incarnation de l’esprit sur le monde, les Mozart et les Beethoven. De la grâce féconde qui demeure, comme un parfum, après leur passage, naissent les artistes plus instruits, — trop instruits, — des raisons et des formules, les chanteurs tendres, passionnés et las, qui ferment le divin cortège. Car, sans l’amour qui est aveugle, et sans la foi, qui est le contraire de la raison, on refera de la science, peut-être de la vérité, mais non point d’art.

Et voici tout le problème nouveau : sculpteurs, pétrisseurs de matière, pauvres païens égarés au moderne jardin, qu’allez-vous faire maintenant de cet art blanc, immobile et pur, si beau avant nos doutes, si muet devant nos interrogations, si triste sous notre ciel gris ?… Que raconterez-vous demain à ce peuple inquiet, qui regarde à peine et se hâte, vous qui touchez encore de vos doigts émus la terre sacrée, vous qui voudriez mouiller de vos larmes l’insensible pierre, vous qui interrogez en vain le feu symbolique des « fontes » éblouissantes ? Que direz-vous à ce passant toujours plus incertain, douloureux et vain, sinon quelque « réplique » moins sincère ou plus triste du grand rêve antique, qu’il ne comprendra plus ?… Car l’humanité marche, entend et voit, depuis le jour où le légendaire Dédale « ouvrit les yeux, délia les bras et les jambes de l’antique Xoanon. » L’homme nu qu’osa faire vivre, à la face du ciel, un Myron, un Phidias ou un Polyclète, a traversé le monde d’Orient en Occident ; il a vu mourir Athènes et Rome, et naître Jésus. Et maintenant il pleure, il écoute, et il songe. Le pourrez-vous suivre, et comprendre, — et sculpter, — jusqu’en ce rêve ?