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II

Et d’abord la matière, le pays et le temps vous y aideront-ils ? Comme nous l’avons vu pour l’architecture[1], un art est toujours le produit logique de l’endroit et du temps, c’est-à-dire de la contrée où il naît et de l’époque où il se développe : les matériaux du sol lui donnent sa figure ; le peuple du lieu lui donne son sens. Et cela est plus vrai encore de la sculpture, s’il est certain que sa beauté, toujours tangible, doit son mystère à la seule qualité de la matière où l’a fixée la main de l’homme. En Égypte, c’est la matière dure, — calcaire, granit ou diorite, — qui donne au « double, » que nous avons vu chargé d’accompagner la momie jusqu’au seuil de l’éternité, sa presque éternelle résistance. Le bois même, dans lequel sont taillées les statuettes du musée de Boulaq, devait durcir progressivement dans la sécheresse et l’obscurité des tombes, sous le sable du désert, où les enfermait la superstitieuse confiance de tout un peuple en l’inviolabilité, qu’on espérait éternelle, des muets hypogées. A Athènes, sous le soleil d’un climat transparent et d’une lumineuse religion, le marbre devient vite indispensable à exprimer la jeune beauté des dieux. Les Iles bleues, voisines de l’Asie, qui ont des carrières de marbre, les premières ont aussi de bons sculpteurs. Aussitôt qu’est devenue savante la main des ouvriers, le tuf ou le bois, plus faciles à tailler, sont abandonnés. Et qui sait si le providentiel hasard, qui fait les races belles et les nations artistes, ne choisit pas précisément, pour donner l’expression suprême des beautés techniques, celles-là seules dont le sol tient la plus pure matière et la plus saturable d’idéal rêvé ? Du froid et gris diorite, du basalte rude et triste de Memphis, naquirent logiquement les dieux muets et impassibles de la hiératique Égypte ; du marbre enfin, chair brillante et virginale, sortit l’homme vivant, heureux et beau, que seule comprit et divinisa la Grèce. Même, après l’avoir peint pendant près de deux siècles, ou rehaussé de bariolages polychromes, — goût barbare encore dont le charme nous est mal compréhensible, ou faute peut-être contre une plus pure esthétique pendant toute l’époque d’archaïsme, c’est-à-dire d’enfance, — au grand siècle de

  1. Voir la Revue du 15 mai 1898.