Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tard, — et façonnaient les masques étranges qu’on mettait, comme un baiser suprême, sur les visages des héros morts[1] ? A Sicyone aussi, dont Pline dit qu’elle fut « la principale officine pour tous les arts des métaux, » se perpétueront très longtemps, pendant et après le VIe siècle, les méthodes apportées de Crète par les très anciens maîtres Dipoinos et Skyllis. A Samos, vers la XLe olympiade, le vieux Rhœcos et son fils Theodoros inventent la fonte en forme, c’est-à-dire l’art de couler le bronze autour d’un noyau d’argile[2]. Glaucos de Chio, auteur du cratère dédié à Delphes par le roi lydien Alyatte, trouve à son tour le secret de la soudure. Et l’intervention sacrée du feu détermine ainsi et complète l’essai de l’homme. La sculpture en bronze était trouvée ; et il semblait que les lois en fussent à jamais déterminées par le merveilleux génie des Grecs. Pourtant, de longues interruptions, et ces inexplicables « oublis de l’homme, » allaient briser la tradition d’art et laisser perdre le métier au point qu’un Donatello ou qu’un Verocchio, deux mille ans plus tard, devaient en retrouver le secret, de toutes pièces, réinventeurs de génie, dont le génie même, tout d’intuition, semble parfois le souvenir mystérieux d’une vie antérieure, d’une idée déjà « faite homme. » De fait, quand Donatello, en 1443, osa de nouveau jeter au moule la fonte incandescente d’où allait sortir la grande statue équestre du Gattamelata, il sembla, devant l’Italie émerveillée, rénover toute la sculpture. C’était, en effet, la plus grande pièce fondue depuis l’antiquité ; mais, à Rome pourtant, le bon Marc-Aurèle, sur son gros cheval rond de bronze vert aux traces d’or usé, n’était pas, depuis douze siècles, descendu de son piédestal, en la Ville éternelle ! Entre l’œuvre molle et facile, par je ne sais quel hasard respectée, de l’ultime décadence romaine, et la fière statue, première-née de l’art moderne, la filiation s’établit, comme s’est faite la vague ressemblance, par le métier, l’obscur métier, servilement gardé, à travers tout le moyen âge, malgré les morts des successifs ouvriers, malgré les décadences, ces morts de l’idée, par les orfèvres inconnus rabaissés aux plus usuels travaux, par les anonymes serruriers des huis et des armes, gardiens jaloux du métal.

  1. Schliemann a retrouvé dans les tombes de Mycènes plusieurs de ces masques d’or fin, figurant grossièrement les faces des guerriers mycéniens : ils sont au Musée d’Athènes. Ils peuvent remonter à 15 ou 16 siècles avant notre ère.
  2. Collignon.