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Mais les grands chefs-d’œuvre du bronze, tôt ou tard, seront fondus. Le métal doit périr par la flamme et retourner au feu dont il est issu. Par le marbre seul vivra du moins, pour les âges futurs, la splendide antiquité. Et, dans l’ordre artistique, la couleur sera l’unique résumé, — on pourrait dire « le résidu, » — de la Renaissance, comme le son, harmonie des choses, bruit supériorisé par l’esprit, le sera du monde prochain. Car, plus l’art se spiritualise, ou, si l’on préfère, tend à extérioriser des idées supérieures, et, pour cela, de simple devient sensible, plus le métier se fait subtil, et fragile la matière. Le précieux travail du verre, par exemple, exprime des choses que ne saurait dire la poterie ; mais le verre se brise aussi vite que s’enfuit la pensée ! L’imprimerie donne aux minuscules caractères, aux mots fugitifs, à l’inconsistant papier, une puissance intellectuelle immédiate, mais que tout détruit. Et si l’imprimerie a remplacé l’architecture pour raconter l’histoire des hommes, si « ceci a tué cela, » quel art parlera aux générations prochaines, plus savantes, plus sensibles ou plus inquiètes, quand il faudra parler plus haut, ou plus vite que la calme et froide sculpture ?

L’harmonie antique fut exprimée complètement par tous les métiers du ciseau. Avait-elle déjà besoin de la peinture ? Et la peinture, de fait, pendant toute l’antiquité, resta à l’état d’art secondaire, d’abord prisonnière de l’architecture, puis esclave de la statuaire, dont elle coloriait les faces et les vêtemens, ou dont elle reproduisait les formes et jusqu’à l’aspect, sans nul sentiment de l’ambiance ou de l’atmosphère[1]. L’harmonie, au fond chrétienne, des âges que nous finissons, sera suffisamment exprimée par tous les métiers du pinceau, depuis la fresque jusqu’au paysage, depuis le vitrail jusqu’au tissu. A-t-elle encore besoin de l’antique sculpture ?

J’ai cherché à expliquer historiquement la transition, — ou la rupture, — telle qu’elle se fit au XVe siècle ; j’imagine qu’elle est compréhensible, et comme visible, dans le métier même, en ce « Cinquecento » italien, où tous les orfèvres, ayant appris la peinture conjointement avec les arts du métal, les plus grands firent leurs plus fines œuvres ou leurs plus significatives avec

  1. La peinture antique, telle que nous la connaissons, tient encore de la sculpture, par le dessin déterminé en lignes, et par les plans. Ce sont toujours des sortes de bas-reliefs, à peine coloriés et comme aplatis à la forme des murailles. Voir Pompéi et Rome.