Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sincérité profonde ou de changeante curiosité ? Elle m’apparaît, sous l’extrême diversité des talens (dont, à si peu de recul, il est vrai, nous voyons mal le lien commun) et parmi l’incohérence des efforts opposés et des écoles adverses, enfermée toute dans des attitudes, plus prisonnière que jamais du métier, exprimant enfin de beaux souvenirs plutôt que des désirs nouveaux. Elle décore, avec une fort spirituelle banalité, de hâtifs monumens ou de paradoxales architectures, qui ne sont que des amalgames de tous les styles, quand elles ne sont pas des assemblages de contradictoires proportions. Contrainte, à son tour, de déshabiller des hommes, — ou des idées, — qui n’aiment plus à être nus, elle fait des mannequins et non des êtres ; elle érige des costumes, et non plus des symboles. Qu’a produit, je le demande, de si beau, l’art public moderne, ou seulement érigé, sur les places neuves des vieilles villes étonnées, la statuomanie incohérente qui règne en France et en Italie ? Au succès des armes, en Allemagne, au triomphe de l’argent, en Angleterre, quels monumens ont élevés les sculpteurs qui ne soient incertains, disproportionnés et sans époque, et que ne semblent pas même avoir magnifié jusqu’à la vie certaine des choses les puissans mobiles, gloire et commerce, noblesse et force, qui les ont occasionnés ? Pourquoi ?… Est-ce la faute du temps et des artistes ? Ou n’est-ce pas plutôt la faute du désaccord toujours croissant de la matière et de l’art avec le temps ? Sans doute, nous sommes à une de ces époques de transition, lasses et nobles encore, où l’artiste trop instruit, charmé de tout, et comme hanté de leçons et de souvenirs, hésite ou s’oublie aux trop belles redites ; où l’homme moral, qui vit sous l’instinctif artiste, se cherche, incertain s’il doit s’affermir à la raison ou se consoler à la foi. Il est certain aussi que l’extraordinaire essor de l’esprit scientifique en ces cinquante dernières années, et l’universel triomphe d’idées, qui n’ont, en fin de compte, rien de commun avec l’idéal passionnel et intuitif, — au fond très primitif, — du véritable artiste, ont quelque peu bouleversé le beau chemin où nous allions, peintres, sculpteurs, musiciens de la forme, grands rêveurs et grands enfans. La vie est plus curieuse et moins sincère, plus compliquée surtout. Et cet « état d’âme » fait des générations pressées, sceptiques et égoïstes, plutôt tristes au fond, que la musique berce, que la peinture distrait, que la sculpture ennuie.