Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quoi qu’il en soit, la faute charmante, venue d’Italie, s’est prolongée à travers toute la Renaissance, en passant par Versailles, jusqu’à nos jours. Ce ne sont partout que statues « à l’effet, » bas-reliefs avec de belles « taches, » bustes aux « noirs » heureux et malins. Tous ces sculpteurs ne sont décidément que des peintres… comme demain tous ces peintres ne seront que des musiciens ! Le beau buste de Rotrou par Caffieri[1], par exemple, et même le merveilleux « Voltaire » de Houdon, presque trop spirituelle statue de l’Esprit, et cent autres œuvres typiques du joli XVIIIE siècle, demi-français, demi-italien, tout cela n’est que de la peinture en marbre. Et, aujourd’hui enfin, je vois bien les « Ecoles » se battre furieusement… J’entends surtout que l’ « Ecole » proteste, avec une inutile sagesse, contre de trop adroites ignorances ou des incohérences trop vantées, encore que les dangers d’une certaine manière, de cet italianisme qui a déjà à demi perdu toutes les écoles autres que la française, et qui est comme la calligraphie de la sculpture, menacent plus immédiatement les plus savans et les plus traditionnels, ceux que la « peinture » ne sauvera pas. Mais les autres, les « peintres, » — qu’ils me pardonnent l’injure ! — de la sculpture contemporaine, ne sont-ils pas, à cette heure, les plus curieux, les plus significatifs, peut-être les plus intéressans, s’il est vrai que notre école se doive un jour reconnaître à un excessif amour de l’effet, du mouvement et de l’indiscipline, ce qui n’est nullement architectural, sculptural très peu, et, au contraire, assez « peintre ? » Aussi bien tous ceux dont les œuvres resteront, de notre époque à la fois incohérente et féconde, auront dit sans doute notre incertitude plutôt que nos convictions, et cette lièvre étrange de désir et de regret, d’imitation et de liberté, de grandeur et de décadence ;… comme un Dalou, petit-fils républicain de Coysevox, énergique artisan de pensées, fier pétrisseur de formes souples et chaudes ;… comme un Falguière, puissant « praticien » de la rude tradition, qui sentit vraiment la vie naître parfois sous ses doigts, et qui passera la flamme, l’ayant reçue, par droit d’amour et d’hérédité, de Carpeaux et de Rude, aux larges, et violentes, et imprudentes mains, d’où sortiront les « Bourgeois de Calais » et… la guerre, l’heureuse et vivifiante guerre qui seule peut-être ressuscitera les

  1. Au foyer de la Comédie-Française.