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leur évitait de répondre à des questions embarrassantes sur leur identité.

Les femmes jeunes ne se montrent guère, à moins qu’on ne pénètre dans leur demeure. Les vieilles mêmes se cachent la figure avec une sorte de cape verte. Il est vrai qu’en échange elles ont des petits caracos très courts qui laissent passer les deux seins. On ne peut que regretter, à ce point de vue, que ce ne soient pas les jeunes qui se promènent et les vieilles qui gardent la maison.

Il n’y a qu’une chose à visiter à Séoul : l’ancien palais de l’Empereur. C’est un vaste espace entouré de murs, où se trouvent des habitations nombreuses et séparées, des jardins et des pièces d’eau. Tout y est fort délabré aujourd’hui. L’herbe pousse entre les dalles, les toitures s’effritent, les vitres de papier sont crevées en maints endroits. On y respire la tristesse et la mort. Ce palais fut, en effet, le théâtre d’un funèbre drame depuis lequel l’Empereur n’a plus voulu l’habiter. Il s’en est fait construire un autre à l’extrémité de la ville. Cela se passa il y a cinq ans. L’Impératrice était, dit-on, une femme charmante et fine, l’esprit ouvert aux idées nouvelles, sachant débrouiller avec adresse l’écheveau compliqué de la politique. Au milieu des factions rivales qui se disputaient le pouvoir, elle dirigeait son mari pour le plus grand bien de la Corée. Cela ne faisait pas l’affaire des Japonais, qui prétendaient à une influence prépondérante. Ne pouvant détruire celle de l’Impératrice, ils résolurent de se débarrasser d’elle. Un complot fut ourdi sous la direction de leur ambassadeur. Par une nuit sombre, une troupe armée envahit le Palais. Elle se heurte à la garde, qui, quoique surprise, résiste énergiquement. Les assaillans allaient être définitivement repoussés quand arrive un détachement des troupes régulières japonaises qui, sous prétexte de rétablir l’ordre, prête la main aux émeutiers. Dès lors, tout est fini. Pendant qu’on achève de massacrer la garde, des assassins pénètrent jusqu’à la reine. Elle tombe percée de coups. On l’entraîne expirante dans les jardins. Son corps, enduit de pétrole, est jeté enflammé sur un tas de décombres où il se consume, sans que le feu, en supprimant la trace palpable du crime, ait effacé la honte d’un semblable guet-apens.

Sous la pression des puissances européennes, le gouvernement japonais dut rappeler son ambassadeur et le traduire devant les