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cette ligne avec celle de Pékin, a été prise hier. Gare, magasins, ateliers, wagons, tout est incendié. Un télégramme de M. Pichon, venu par le Nord, a annoncé que les Européens de Chau-Sing-Tien n’ont pas rallié la légation de France. Ils sont donc toujours en plein pays insurgé, enfermés chez eux sans doute, et assiégés par les Boxeurs. Pourront-ils tenir longtemps ? On craint qu’ils ne manquent de vivres et de munitions. On craint, d’autre part, qu’ils ne puissent sortir en faisant une trouée, encombrés qu’ils sont de femmes et d’enfans. Nous apprenons au consulat de France, où nous déjeunons, qu’une dizaine de commerçans de Tien-Tsin, Français, Belges et Allemands, vont tenter de les délivrer. Ils partent à trois heures. Aussitôt G… et moi demandons à nous joindre à eux. Vite nous courons nous changer. Nous emportons chacun, pour tout bagage, un fusil, un revolver et des cartouches. A l’heure dite, nous sommes dans le train qui nous conduira… où il pourra…

Le consul, qui est à la gare, nous fait faire la connaissance de nos compagnons d’armes et, en ma qualité d’officier, m’investit du commandement. Mais voici du nouveau. Le vice-roi, — sa connivence avec les Boxeurs a été plus tard clairement démontrée, — refuse de nous laisser partir. Il prétend que nous sommes des soldats français débarqués sans l’autorisation de l’Empereur. De notre côté, nous refusons de laisser partir le train, et, comme on a tenté de décrocher notre wagon, nous prévenons le mécanicien que nous tirerons sur lui si la locomotive s’ébranle sans nous. Pendant deux heures, le consul tempête au téléphone. Enfin on nous laisse libres, à la condition de signer un papier dégageant le vice-roi de toute responsabilité sur ce qui pourra nous advenir. Peu nous importe ; en route.

A sept heures et demie, nous arrivons dans la gare incendiée de Foun-Taï. Les rebelles l’ont quittée et elle est maintenant occupée par les troupes impériales. Cela vaut-il mieux ? Tous les bâtimens sont brûlés ; quelques-uns fument encore ; des wagons sont renversés aux abords de la voie ; les locomotives sont dépouillées de toutes leurs pièces de cuivre. Comme il n’y a plus un endroit où nous puissions nous abriter, je décide d’aller coucher à la station de Ma-Djia-Pu pour revenir demain matin et suivre la ligne du Sud, sur laquelle se trouve Chau-Sing-Tien. Le train, où nous sommes seuls maintenant, se remet en marche dans la nuit, à toute petite vitesse, de crainte que la voie ne soit