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qui l’ont une fois connue. Mais chaque chose a son temps. Avec le rêve de revenir quelque jour, ici ou ailleurs, mener cette existence que j’aime, je dis adieu aux côtes annamites.

Après avoir, par un temps superbe, doublé le cap Padaran et le cap Saint-Jacques, nous entrons dans les eaux calmes, aux malsaines senteurs, de la rivière de Saigon.

Le lendemain de notre arrivée, la ville est en liesse. C’est le 14 juillet. Dans ces contrées lointaines, la fête nationale n’a pas le cachet de foire qui fait de ce jour, à Paris, l’un des plus odieux de l’année. Les réjouissances, ici, sont plus discrètes. Les navires, dans le port, ont mis leur grand pavois ; les drapeaux flottent aux façades des maisons ; quand vient le soir, la ville s’illumine, les lampions s’alignent sous les grands arbres des avenues, le palais du gouverneur projette sa masse flamboyante au bout des vastes parterres qui y mènent. Et, au milieu de tout cela, circule une foule paisible, qui ne chante ni ne hurle, qui se contente de jouir du spectacle avec calme, dans la chaleur lourde d’une nuit tropicale où brillent des millions d’étoiles.

Le gouverneur, qui nous a reçus à Hanoï d’une façon charmante, a tout mis en œuvre pour rendre agréable et facile à mes compagnons de voyage une visite rapide de l’Indo-Chine. Après quelques jours passés à Saigon, dont l’aspect riche et prospère, les larges avenues ombreuses, les jardins fleuris et le théâtre monumental surprennent toujours ceux qui s’attendent, plus ou moins, à n’y trouver qu’une pauvre bourgade, nous nous embarquons pour Pnom-Penh.

Là règne, sous la direction et la surveillance du résident de France, le fameux Norodom que je retrouve un peu plus vieux, un peu plus maigre, mais tout aussi frétillant et aussi vivace que l’année précédente. Ce monarque n’aura donné à ses sujets qu’un seul bon exemple, celui de la longévité.

Il nous invite, dans son palais, à un ballet exécuté par sa troupe particulière. C’est assez monotone comme spectacle, mais très exotique d’aspect. Les costumes sont fort beaux. Dans une grande salle éclairée par des lampadaires où brûle, avec une odeur bizarre, de l’huile de palme, la théorie des danseuses fait son entrée à genoux, car nul sujet ne doit se présenter debout devant le roi. Dès lors, commence à se dérouler la trame compliquée et pour nous incompréhensible de la pièce. Tous les gestes ont une signification en quelque sorte hiéroglyphique. Ils