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homme qui élevait des mains suppliantes. Elle était guidée par un homme pâle, de mine hideuse et d’aspect cruel, et le nom de cet homme était Rancune ou Envie. La Calomnie était en outre accompagnée de deux servantes qui la couvraient d’ornemens ; et leurs noms étaient Hypocrisie et Ruse. Plus loin se tenait le Remords, une femme vêtue d’un manteau sombre, et convulsée de désespoir. Et près de cette dernière se montrait la Vérité, modeste et pleine de réserve.


Or, Botticelli s’est inspiré de ce passage d’Alberti pour peindre un de ses tableaux les plus fameux, la Calomnie du Musée des Offices ; et il a reproduit si fidèlement le texte de son auteur qu’il n’a pas même changé le moindre détail des attitudes des personnages ni de leur disposition, à tel point que ces personnages, debout l’un près de l’autre en des poses discordantes, semblent être des acteurs occupés à répéter, côte à côte, des rôles dont il est impossible de comprendre le sens. Et de même, dans ses petites scènes de la Vie de Saint Zénobie (au Musée de Dresde et dans une collection particulière anglaise), le peintre a suivi de si près la chronique florentine qu’il n’y a pas un seul mouvement des figures qui ne soit évidemment destiné à en reproduire un détail. De même encore les dessins de Botticelli pour orner un manuscrit du poème de Dante sont, comme l’on sait, exécutés dans un esprit d’illustration si servile et si minutieux qu’à force d’exactitude littérale, ils échouent à évoquer pour nous la vision du poète. Tout cela ne suffit-il pas à prouver que Botticelli, comme du reste la plupart des peintres de son temps, mais plus strictement encore peut-être que beaucoup d’entre eux, a été toute sa vie un illustrateur, assidu à reproduire, mot pour mot, les documens écrits dont il s’inspirait ? Et que reste-t-il, après cela, de son prétendu génie de pure musique linéaire ?

Non, ce n’est pas à ce génie-là que Botticelli doit d’être devenu, depuis trente ans, le plus aimé et le plus admiré des peintres italiens. Il le doit surtout, je crois, à un type de figure particulier qu’il a peint durant une certaine période de sa vie, et qui s’est trouvé par hasard coïncider avec un idéal particulier de beauté féminine aujourd’hui à la mode. Ce qui nous plaît aujourd’hui chez lui, ce qui nous force malgré nous à subir le charme de sa Naissance de Vénus et de sa Madone à la Grenade, c’est que, dans ces peintures d’une invention banale et d’un art souvent médiocre, les personnages ont les mêmes traits allongés, les mêmes grands yeux sensuels et mélancoliques, qui nous séduisent dans l’œuvre des peintres anglais, depuis Gainsborough jusqu’à Rossetti. Par un hasard singulier, et qui a peut-être résulté