Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noble nation française, qui, par les grandes choses qu’elle a accomplies dans la paix et dans la guerre, s’est acquis auprès de l’Eglise catholique des titres à une reconnaissance immortelle et à une gloire qui ne s’éteindra pas. » Rome, en effet, de temps immémorial, proclame la France sa fille aînée. « Depuis Louis XIV, il n’y a pas de pire aînée (Pyrénées), » disait un jour Pie IX, en une de ses colères qui s’attiédissaient en jeux de mots : la colère passait, et l’indulgence restait. Que ces vieilles maximes : Primogenita filia Ecclesiæ, Gesta Dei per Francos, aient comme une saveur d’anachronismes, cela n’est point pour les disqualifier, aux yeux d’un pape. Elles ont perdu presque tout leur sens, mais elles gardent une valeur. « Ce sont là mots en l’air, » prétendent à l’étranger nos jaloux : ces mots en l’air forment une atmosphère. En ces lambeaux de phrases, Rome voit et aime l’histoire passée qui s’y condense, l’histoire future qui lui semble s’y élaborer ; elle persiste à croire à la souveraineté de ces devises, une souveraineté qui pour l’instant subit un interrègne… Mais Rome n’a jamais redouté les longs interrègnes.

Les imaginations communes, surtout frappées par la fuite des hommes et des choses, se complaisent à embaumer le passé : c’est leur façon, à elles, de le respecter. L’imagination de Léon XIII, avec ce même élan par lequel elle ramassait, rapprochait et maîtrisait l’avenir, savait arracher le passé à sa vie d’outre-tombe, le ressusciter, le réincarner. Alors, Lavigerie survenait : avec ces évocations d’une histoire défunte, il faisait l’histoire du lendemain ; et, du rêve pontifical, le cardinal créait une réalité.

Il n’y eut plus deux Frances, il n’y en eut qu’une, lorsque Léon XIII, « tenant la place du Christ, du Rédempteur très aimant de tous les hommes, » remit solennellement à Charles-Martial Lavigerie le soin de plaider auprès du monde civilisé la cause de ces « quatre cent mille Africains, vendus chaque année à l’instar des troupeaux de bêtes, et dont la moitié, après avoir été accablés de coups le long d’un âpre chemin, succombent misérablement, de telle sorte que les voyageurs en suivent la trace faite des restes de tant d’ossemens. » Les hommes d’État de la République s’associèrent à ce nouveau genre de croisade, essai de contact entre la propagande chrétienne et cette ténacité mystérieusement indomptable dont jusqu’ici l’Islam s’est pu