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l’arrogance du propriétaire qui volontiers traiterait les biens terrestres comme un monopole de l’usage duquel il ne doit aucun compte, ni l’arrogance de l’hégémonie industrielle impatiente de produire toujours davantage, ni l’arrogance des bonnes fortunes commerciales.

Léon XIII considérait la fraternité des hommes comme offensée, lorsqu’il voyait « le monopole du travail et des effets de commerce devenu le partage d’un petit nombre de riches et d’opulens qui imposent un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires. » Il lui paraissait que les créatures dérangeaient les projets du Créateur : l’encyclique sur la Condition des ouvriers fut comme une protestation du vouloir divin en faveur de la dignité humaine et du bien-être humain.

La liberté sans frein s’était épanouie ; elle était devenue oppressive ; les « droits de l’homme, » souverainement exercés par quelques tempéramens absolutistes, n’avaient été efficaces que pour quelques êtres, — les « opulens, » — et n’avaient fait que peser sur « l’infinie multitude des prolétaires. » Isoler l’homme par une abstraction factice ; en faire un être imaginaire, théoriquement pourvu d’innombrables droits ; l’abandonner ensuite aux bousculades de la réalité, qui fait prévaloir les droits effectifs du fort sur les droits platoniques du faible : c’était là une duperie dont Léon XIII voyait l’humanité victime. L’homme, pour lui, est, avant tout, membre d’une fraternité, qui est la société : la superbe individuelle, qui est comme un reliquat de la faute d’Adam, voile souvent cette vérité et les exigences qu’elle entraîne ; c’est au catholicisme social d’intervenir, non seulement par des déclarations, mais par des remèdes ; et Léon XIII, faisant un pas de plus, proposa les remèdes.

Pratiquement, la liberté du travail et de la concurrence ne lui semble compatible avec la vie sociale, que si elle est réglée et comme encadrée par des lois. Elle peut se donner ces lois à elle-même : l’organisation professionnelle, au sein de chaque métier, fixerait, après discussion sincère et libre entre les intéressés, les conditions du travail. Ces lois peuvent venir, aussi, des pouvoirs publics : en vertu de cette prérogative que leur décerne la théologie, d’être les gardiens de la justice, ils définiraient le minimum d’exigences normales qu’impliquent la vie religieuse de l’ouvrier, son hygiène, sa vie familiale, sa vie