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document pontifical « les élémens les plus précieux pour la défense de leurs droits légitimes ; » et ils invitaient les travailleurs catholiques à ne point permettre que les nefs des églises, quelque sonores qu’elles fussent, emprisonnassent ce verbe émancipateur, et à porter la parole papale dans les tribunes des clubs.

C’est alors que Léon XIII écrivit à M. Gaspard Decurtins une lettre extrêmement frappante. Chef de l’Eglise universelle, il envisageait, du haut du Vatican, la vie économique universelle ; et, déplorant qu’ « une multitude si grande et si utile fût abandonnée sans défense à une exploitation qui transformait en fortune pour quelques-uns la misère du grand nombre, » il ajoutait : « Les ouvriers ne trouveront jamais une protection efficace dans des lois qui varieront avec les différens États. Du moment, en effet, que des marchandises de diverses provenances affluent souvent au même endroit pour y être vendues, il adviendrait à coup sûr que la diversité des conditions du travail assurerait un privilège à tel peuple, une infériorité à tel autre. » C’était là un langage d’économiste : M. Anatole Leroy-Beaulieu ne s’était pas trompé lorsque ici même, en 1891, il saluait le Pape de ce nom. Léon XIII terminait en souhaitant qu’en tous pays, des lois égales protégeassent contre les excès du travail la faiblesse des femmes et des enfans, et qu’un nouveau congrès ouvrier se réunît bientôt pour remettre cette nécessité sous les yeux des pouvoirs publics.

Les « meneurs » suisses avaient aspiré à faire sortir l’Eglise de chez elle, pour qu’elle se fît entendre des ouvriers trop indifférens à leur sort ; Léon XIII répondait en les engageant à sortir de chez eux, pour qu’ils se fissent entendre, comme congressistes, de l’unanimité des États. Le mot que, peu d’années auparavant, écrivait M. le vicomte Eugène-Melchior de Vogué s’accomplissait : la tradition des « grands pontifes rassembleurs de peuples, législateurs sociaux[1], » était ressaisie. Aussi vit-on, en 1900, le Congrès international pour la protection légale des travailleurs, traiter le Pape en quelque façon comme un législateur social. « L’existence de la Papauté, déclara M. Keufer, son influence sur nombre de patrons et sur une portion de la classe ouvrière, sont des faits qu’il serait puéril de nier et dont il n’est pas possible de ne pas tenir compte. » Le Pape fut invité, comme

  1. Vicomte E. -M. De Vogué, Heures d’histoire, p. 311.