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vallées dépeuplées que, depuis la répression du duc de Cumberland, ce « boucher, » le voyageur traverse pendant des jours « sans voir une cheminée fumer ni entendre un coq chanter, » le poète oublie sa propre détresse et recueille pieusement les dernières larmes de l’Ecosse.

Son vœu d’être le barde national de sa contrée dut se renouveler plus ardent et se préciser devant ces souvenirs. Mais, à peine rentré à Edimbourg, il est repris par les incertitudes qui le paralysent. Le voilà de nouveau en présence de sa misérable condition ; il est las, découragé. Si déjà, en plein succès, en plein triomphe, quand il faisait monter le prix des bonnets de gaze, il ne gardait point d’illusion sur son avenir, qu’est-ce en ce nouvel hiver où nul ne fait attention à lui ? Ces crises d’angoisse et de désespoir déterminent toujours chez Burns des accès de dissipation et, comme s’il tournoyait sur un abîme ouvert, ce naufragé de la vie saisit la planche de l’amour. C’est souvent ainsi qu’aiment les poètes, en désespérés dont l’amour est la suprême ressource. Ils aiment pour eux et ne s’occupent point de l’objet de leur amour, qu’ils regardent à peine et ne connaissent point. C’est ce qui explique sans doute leur singulière puissance d’illusion, de transfiguration. Ce fut éminemment le cas de Burns ; c’est ainsi qu’il avait aimé Jane Armour et la pauvre Mary des Highlands ; ainsi qu’il aima, durant ce sombre hiver, Mrs Mac Lehose, la « Clarinda » d’une fastidieuse correspondance où, dans une métamorphose au goût du temps, il déploya beaucoup de littérature sous le nom de Sylvander. Il y avait bien peu de sincérité dans cet amour. Au même moment d’ailleurs, il apprenait que Jane Armour était de nouveau enceinte. Le mois suivant, il accourt, cherche un abri à Jane, que le père Armour vient de chasser pour cette seconde faute, puis il va visiter une ferme qu’il a vue près de Dumfries. Après une nouvelle quinzaine à Edimbourg et le règlement définitif de ses comptes avec son libraire Creech, il quitte cette ville où il ne devait plus revenir, combien différent de l’homme qu’il était en y arrivant dix-huit mois plus tôt !


Cette période, si curieuse en elle-même et si importante dans la vie de Burns, n’a pas beaucoup enrichi son œuvre. Elle aurait pu inaugurer pourtant une transformation de son génie. Nous avons vu, soit à Edimbourg, soit dans le voyage des Borders et