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celui des Highlands, poindre une aspiration vers la poésie nationale. Le poète détaché de lui-même, ne trouvant plus la poésie dans les circonstances de sa propre vie, semble un instant vouloir aller au-delà de sa vie, jusqu’à la destinée commune, jusqu’au passé de sa race, et chercher la poésie de l’histoire. Mais les quelques pièces écrites à cette époque ou, dans la suite, d’après les impressions de cette période[1] restent comme l’indication d’un mouvement qui ne se continue pas. Burns n’était point alors dans des dispositions favorables à la production, et d’ailleurs il n’avait peut-être pas cette imagination évocatrice qui se plaît à ressusciter le passé. A un autre égard, l’influence d’Edimbourg faillit lui être funeste. Non seulement son séjour dans la capitale avait rompu le charme de sa vie rustique, naïvement inspirée, mais encore le contact de cette aristocratie intellectuelle, de cette culture abstraite, de cette littérature oratoire et générale, l’exposèrent à une méprise. Lui si fort quand il suit sa nature et la tradition écossaise, le voilà séduit par les élégances factices du XVIIIe siècle anglais, au point d’écrire, un peu plus tard, toute une série de pièces dans le goût de 1740, dans ce style « reine Anne » qui lui convient si peu. Mieux valait pour le poète retourner à son humble destinée, épuiser la vie de misère où devait s’achever son génie.


III

Devant ce désaccord entre son désir et sa puissance, dans ce conflit entre des aspirations contradictoires, incohérentes, lassées de leur effort, et des nécessités chaque jour plus impérieuses, Burns fait le choix que lui imposait le passé : il épouse Jane Armour et paraît vouloir seulement vivre. L’installation à Ellisland se fait au milieu des plus sages résolutions. Mais comment ne seraient-elles pas éphémères ? Burns ne peut plus s’accommoder des circonstances et n’en pas souffrir. Le beau temps de Lochlea et de Mossgiel est passé. Il a de l’appréhension et de la fatigue ; il est découragé et défiant. « Une sensibilité excessive, qu’une série de malheurs et de déboires a irritée et portée à voir le côté sombre des choses, » l’a rendu trop frémissant, trop fébrile. Il

  1. Voyez Address to Edinburgh, Lament of Mary Queen of Scots, Scots wh a hae, The Battle of Sherramuir, Killiecrankie, the Lovely Lass of Inverness, the Highland Widow’s Lament, Strathallan’s Lament.