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For the Sake o’ Somebody. Chanson d’amour qui garde son mystère ? ou chanson jacobite des partisans réduits à se cacher ? Lisez ces couplets de joie, ce poème d’été, les Sillons d’orge, cette histoire d’une nuit passée sous le ciel bleu et les étoiles claires :

« J’ai été gai avec de chers camarades, j’ai été joyeux en buvant, j’ai été content en amassant du bien, j’ai été heureux en songeant. Mais tous les plaisirs que j’ai jamais vus, quand on les doublerait trois fois, cette heureuse nuit les valait tous, parmi les sillons d’orge.

« Les sillons de blé et les sillons d’orge, les sillons de blé sont beaux ! Je n’oublierai pas cette nuit heureuse, avec Annie, parmi les sillons[1] ! »


IV

Burns nous offre vraiment l’exemple d’une destinée où les mêmes circonstances qui concourent au malheur semblent collaborer au génie. Toute sa jeunesse l’amène à exprimer cette revendication de la vie, qui était aussi le besoin de son temps et de son milieu. Il n’a qu’à regarder autour de lui pour tirer sa poésie de toutes choses. En lui, la vieille Écosse rustique et populaire trouve son interprète. Il est le poète local. Puis, le voici à Edimbourg, dans la société lettrée et mondaine. Ce changement soudain ne le grise pas : il l’inquiète, au contraire, et presque l’épouvante. Pauvre, étranger par sa position et sa fortune à ce monde qui fête sa gloire toute neuve, c’est là qu’il sent le désaccord entre sa vie et son génie, car c’est là que ce désaccord éclate. Déjà la vie descend le long de la mauvaise pente ; alors le génie semble s’orienter vers le passé : Burns rêve d’être un poète national. Enfin les déboires et les fatigues de sa ferme, puis de l’Excise, exaspèrent sa sensibilité et l’abîment dans les souffrances et les fautes, tout au-dessus desquelles monte un chant dépouillé de vie personnelle et n’exprimant plus que ce qu’il y a dans le poète de pure humanité. Mais, de même que toute la vie écossaise transparaissait à travers l’inspiration accidentelle et locale, de même l’éternelle chanson garde encore dans sa bouche la saveur du terroir et l’accent du pays ; en sorte que, des Poèmes de Mossgiel aux Chansons d’Ellisland et de

  1. The Rigs of Barley.