Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfaction, par les ambassadeurs, à la santé de leur souverain et du nôtre ; — je pense qu’il s’agit de M. Loubet.

Je suis dans l’admiration de cette réception. Je me souviens que jadis, pour ma modeste personne, le Siam avait fait moins de frais et que je n’avais pu obtenir du gouverneur les charrettes dont j’avais besoin qu’au moyen de l’offre généreuse de six bouteilles d’une déplorable absinthe, achetées du reste à son intention chez un Chinois de Pnom-Penh.

Malgré cela, en revoyant ces lieux, je me rappelle avec émotion la première fois que j’y abordai dans une simple pirogue qui avait mis plusieurs jours à remonter le fleuve et le Grand-Lac. Il faisait nuit depuis longtemps déjà quand nous nous étions engagés dans la rivière où l’ombre des grands arbres faisait régner une impénétrable obscurité. Soudain, à un tournant, des lumières apparurent. Devant nous s’ouvrait une sorte de bief assez largo, encombré de jonques, et, sur la rive, des gens s’agitaient avec un bruit de musique et de chants. Mon compagnon et moi eûmes tôt fait d’aborder au lieu de la fête, que notre arrivée troubla un instant, mais qui reprit de plus belle quand on se fut aperçu que nous nous contentions du rôle de spectateurs. Toutes les jonques rassemblées en cet endroit allaient partir pour les pèches du Grand-Lac, qui durent plusieurs mois. Pour se concilier les Esprits, pour écarter les tempêtes souvent dangereuses du Tonlé-Sap, on donnait une sérénade à Bouddha. Un petit autel était dressé au milieu de grands feux. Quelques drapeaux rouges et blancs flottaient à l’extrémité de hampes de bambou. Un orchestre caché sous les arbres jouait sans discontinuer, et des hommes presque nus dansaient des danses bizarres, faisaient des contorsions et des sauts. La lueur des brasiers sur leur peau de bronze leur donnait des aspects effrayans de démons. C’est peut-être l’impression d’exotisme la plus intense que mes voyages m’aient laissée. Je n’oublierai jamais cette nuit sans sommeil passée dans notre pirogue que nous avions attachée à un arbre, pendant que résonnait la musique cambodgienne, triste, étrange et grêle, et que, sur les reflets rouges des feux dans la rivière, des ombres fantastiques passaient.

Aujourd’hui, c’est le grand soleil de juillet qui éclaire ces mêmes lieux. L’époque de la pêche est passée. En dehors des gens venus à notre rencontre, les rives semblent désertes.

Cependant les palabres avec les dignitaires siamois sont