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résidence du plus puissant empereur du Java dit indépendant. Sa Majesté est en voyage et ne nous recevra que le quatorze ou le quinze. Nous avons donc quelques jours de loisir à passer dans ses Etats. Cela n’a rien de pénible, car la température est très supportable et la ville intéressante à visiter.

Il y a à Solo, comme dans presque toutes les cités javanaises, un nombre considérable de Chinois. Ils sont sous la direction d’un des leurs, gros seigneur puissamment riche, à qui le gouvernement hollandais, — pour faciliter son administration, — reconnaît une autorité analogue à celle d’un maire ou d’un préfet. Nous allons un soir rendre visite à cet important fonctionnaire. Il occupe une luxueuse maison, meublée moitié à la chinoise, moitié à l’européenne. Grande galerie en bois sculpté, avec des tentures du Japon, des étoffes d’Orient, des tapis moelleux, des vitrines remplies d’objets d’art chinois, japonais ou hindous ; des chambres à coucher avec des lits immenses aux moustiquaires de dentelle ; des cabinets avec des ustensiles de toilette en argent, en vermeil ou en or. Nous sommes reçus sur le pas de la porte par sa femme et sa fille, vêtues de costumes de soie brodés. Les boutons sont en pierres précieuses, et ces dames portent aux doigts deux ou trois diamans gros comme des bouchons de carafe. On nous offre du Champagne frappé, dans des coupes de cristal ; nous nous séparons dans les meilleurs termes.

Tout cela représente une certaine aisance. On attribue à notre ami une fortune de trente millions de florins (un peu plus de soixante millions de francs). Et il paraît qu’il n’est pas le plus riche de Java. Voilà qui nous change des Chinois de chine et particulièrement des Boxeurs ! Il est vrai que, si les Boxeurs étaient tous millionnaires, ils auraient moins de plaisir à incendier et à piller. Et voilà comment, même aux antipodes, on se trouve en présence de la question sociale et de la difficulté, — les rentiers étant seuls paisibles, — de faire de tous les humains des rentiers !

La réception du sultan eut lieu quelques jours après, avec un cérémonial analogue à celle de Djocja. On nous exhiba, en plus, des danses javanaises, exécutées par le corps de ballet de Sa Majesté. C’est très remarquable comme ensemble et comme précision, mais excessivement monotone. Il n’y a du reste que des différences de détail et de costume entre ces danses et celles des bayadères de l’Inde ou des Cambodgiennes de Norodom. Pour