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aucun degré et pour personne une excuse, puisque chacun de nous commence à devenir un être moral à la limite précise où il se détache des servitudes physiques pour les dominer. Mais, s’il n’excuse rien, le tempérament, lorsqu’il atteint à une telle exubérance, explique beaucoup de choses. Il explique ici l’insatiable appétit de jouissances matérielles, le besoin d’agir et de dominer, le goût assez vulgaire et grossier du faste et de l’ostentation, la prodigalité en tous les sens. Il expliquera pareillement cette gaieté naturelle, cette confiance dans la vie, cet optimisme instinctif, et aussi cette espèce de bonhomie, de cordialité, de générosité dont il est bien difficile de faire chez Mirabeau des qualités de l’âme, mais qui sont plutôt les effets du mouvement du sang, les élans du corps.

Ce prodigue est intéressé : trait de famille que le marquis note en commun chez tous ses enfans : « avec toutes leurs déprédations, ils sont intéressés ; » ils avaient de qui tenir, et des deux côtés, paternel et maternel. Pour ce qui est du comte, « il a, en sus de ses autres bonnes qualités, celle d’emprunter à toutes les mains : sergens, soldats, tout lui est égal. » Emprunter pour ne pas rendre constitue une opération financière qui, d’après les usages du XVIIIe siècle, était jugée un peu moins sévèrement qu’elle ne le serait aujourd’hui. Mais il n’y a pas un détail de la vie de Mirabeau où ne se mêle la question d’argent ; il n’est accueilli dans aucune maison, qu’il ne la mette au pillage. Entendez d’ailleurs ce mot d’intérêt dans son acception la plus complète. Il est rare qu’une démarche quelconque de Mirabeau ne s’explique pas par le profit qu’il espère en tirer. Sa fougue peut bien l’entraîner, mais ce n’est jamais sur la pente du sacrifice. Sa folie calcule et raisonne ; elle s’accommode à merveille avec le sens pratique le plus avisé. On cherche vainement un cas où il se soit oublié lui-même, et dévoué pour autrui. Et tout nous ramène à la constatation d’un égoïsme foncier et forcené.

Un autre travers qui chez Mirabeau semble de bonne heure être la plus caractérisée des tares originelles, et contre laquelle son père lutte avec le plus de persévérance, c’est le goût impérieux du mensonge. « Pour le mensonge de prédilection, il l’abjurera, ou je saurai l’annuler avec disgrâce. » Rien n’y fit : père, oncle, précepteur, les militaires et les abbés, tous les maîtres y perdirent leur latin. L’instinct se fortifia de l’habitude, et, l’imagination aidant, Mirabeau, dans pas une circonstance, ne se