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plusieurs bergiers du pays de Poictou, qui souvent jouèrent devant le logis du roy, mais ils ne le veoyent pas, affin que auxdits instrumens le roy y prensist plaisir et passe-temps, et pour le garder de dormir. » Ces bergers ont fort intrigué l’imagination de nos historiens, et généralement ils ont eu garde de les oublier, afin d’opposer le contraste d’une « élégante idylle » au sombre drame des « remords » du tyran expirant. « Il s’abandonnait à mille fantaisies, — écrit Henri Martin, — pour secouer un moment l’ennui qui le rongeait. Il mandait de toutes parts des joueurs de « bas et doulx instrumens ; » il faisait venir des bergers qui jouaient devant lui les airs, et dansaient les danses de leur pays. Mais rien ne réussissait à le distraire ; et l’objet de son caprice, à peine atteint, ne lui causait plus qu’impatience et dégoût. » Il ne semble pas, en premier lieu, que, comme « fantaisie, » de se faire jouer des airs de cornemuse, bretons ou poitevins, cela ait rien de « sardanapalesque » ou de très « néronien. » En second bleu, ni Jean de Roye, ni Robert Gaguin, dont on s’autorise, — car Commynes est muet sur les « bergers » comme sur beaucoup d’autres choses, — n’ont parlé de « danses » ni même de « chants, » mais seulement d’airs : « affin que auxdits instrumens le roy prensist plaisir, » dit Jean de Roye ; et Robert Gaguin : « continenter modulabantur : ils jouaient tout doucement, en sourdine. » Et, en troisième lieu, on ne sait où l’historien a pris qu’après les avoir fait venir, le roi se fût « dégoûté » de ces « joueurs de bas et doulx instrumens. » Mais chacun ici-bas a sa manière d’écrire l’histoire, et celle d’Henri Martin, germaine de celle d’Hugo, consiste, ordinairement, à « la démocratiser. » Les rois « s’amusent » dans ses in-octavo, et Henri Martin les flétrit d’une phrase vengeresse. « Il s’abandonnait à mille fantaisies… et l’objet de son caprice, à peine atteint, ne lui causait plus que de l’impatience et du dégoût. » C’est ainsi que sont faits les rois ! Mais ici encore, nous dit Brachet, consultons l’histoire de la médecine, et « tout clinicien reconnaît aussitôt, dans ce traitement musicothérapeutique, la médication spécifique et pathognomonique des psychonévroses dans la neuropathologie médiévale. » On aimerait peut-être que ces choses fussent dites en termes moins savans.

Il ne faut évidemment pas s’exagérer l’intérêt ni surtout l’importance de ces rectifications, mais il ne faut pas non plus les dédaigner, si le souci du détail, en histoire comme ailleurs, garantie de l’exactitude, est donc la condition de la fidélité des ensembles. Mais, parmi tous ces détails et dans cette nausée de la pathologie, que deviennent les lois de l’hérédité ?