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professionnelles des monarques. Pour s’être déclaré Majesté sacrée, il se figura que la majesté résidait en autre chose qu’en les sept lettres d’un mot de protocole, et que ce terme de sacrée emportait une grâce politique capable d’opérer la soumission des hommes. Il se retrouva, le 3 décembre 1804, ce qu’il était la veille, en présence d’une Europe où rien n’avait changé. Le couronnement de Notre-Dame, aux yeux des rois et de leurs ministres, ne comptait que pour une cérémonie de plus après tant d’autres, aussi vaines, dont plus rien ne subsistait. Pour l’Anglais, pour le Prussien hérétiques, pour le Russe schismatique, l’évêque de Rome n’avait pu imprimer à l’empereur de Paris un caractère d’inviolabilité dont il ne disposait point. Pour les catholiques, ceux de Vienne, de Naples, de Madrid, de Lisbonne, c’était tout simplement l’acte de faiblesse d’un pontife déchu et la profanation d’un mystère. La Majesté de Napoléon n’en sortait pas plus sacrée que n’avait été celle de Charles Ier, de Jacques II, de Pierre III, de Louis XVI et de Paul Ier. Ce que le glaive avait élevé, le glaive l’abaisserait un jour, voilà toute la foi des princes de l’Europe, et ils ne connaissaient point d’autre signe manifeste des arrêts de la Providence, arrêts toujours frappés d’appel quand ils déclaraient leur défaite, et définitifs seulement, à leurs yeux, quand ils consacraient leur victoire.

Napoléon continua donc de régner par la seule force des armes françaises, le seul prestige de son génie et la seule habileté de ses combinaisons politiques. Si les complots royalistes s’arrêtèrent, c’est que l’acte de Vincennes terrifia les conspirateurs ; si les tentatives d’assassinat cessèrent, c’est que la tête des assassins tomba sur l’échafaud de Georges ; si la coalition ne se déclara point immédiatement, c’est que ni la Russie ni l’Autriche n’étaient prêtes ; quelles manquaient d’argent et que l’Angleterre ne leur voulait fournir ses livres sterling, sonnantes et trébuchantes, que contre des soldats en marche et des canons roulans sur les routes. Si enfin la guerre n’éclata point dans l’année 1804, c’est que l’Autriche multiplia les déclarations pacifiques, que, sans l’Autriche, la Russie n’osait se risquer, et que toute la diplomatie de Napoléon s’employait à tenir l’Europe en suspens jusqu’au jour où il se trouverait prêt à la grande aventure renouvelée de César et de Guillaume de Normandie, qui lui assurerait, sans conteste cette fois, la domination de l’Europe.