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de Napoléon n’était pas de leur assurer des avantages réels, en compensation de promesses trompeuses sur un papier d’Etat discrédité, des traités qui valaient des assignats ; son intérêt était de les affaiblir et, s’il le pouvait, de les obliger à désarmer. Ce serait un coup de prestige, une victoire sans combat qui dépasserait en conséquences la victoire la plus chèrement payée, et qui déconcerterait la coalition, livrerait la Prusse et l’Allemagne à la France, obligerait la Russie à s’arrêter en route. Il sommera donc l’Autriche de mettre bas les armes, de disloquer ses corps d’armée, de renvoyer ses recrues dans leurs villages. Si l’Autriche refuse, il l’abat avant qu’elle ne soit prête. Il lève son camp, passe le Rhin et marche sur Vienne. Si le prestige opère, il passe la Manche et marche sur Londres.

En vue de l’une comme de l’autre conjoncture, il machine des diversions contre la Russie et contre l’Angleterre. Il tire aux extrémités. Il écrit au roi de Perse : « J’ai partout des agens qui m’informent de tout ce qu’il m’importe de connaître. Je sais à quels lieux et dans quels temps je puis envoyer aux princes, aux peuples que j’affectionne, les conseils de mon amitié et les secours de ma puissance. » Les secours, il pense sérieusement à une expédition ; les conseils, c’est de s’armer contre le Russe et contre l’Anglais. Il écrit au sultan des Turcs, en un style emphatique qu’il croit oriental : « J’ai voulu être ton ami… As-tu cessé de régner ? Réveille-toi, Sélim. Confie-toi à tes vrais amis, la France et la Prusse. Redoute les Russes, qui veulent Constantinople. Soutiens la Perse. Si tu l’abandonnes, je comprends que le destin, qui t’a fait si grand, veut détruire l’empire de Soliman, car tout change sur la terre, tout périt. Dieu seul ne périra jamais[1]. »

Il envoie Junot à Madrid et à Lisbonne. De l’Espagne, Junot exigera trois vaisseaux et six frégates, au Ferrol, du 20 au 30 mars ; six vaisseaux et trois frégates, à Cadix, sous Gravina, prêts à mettre à la voile et à se joindre à la flotte française. Du Portugal, la fermeture des ports aux Anglais, l’expulsion des agens anglais avant le 22 mars, sinon la guerre immédiate. « Alors, je fournirai, avant l’automne, les forces que l’Espagne voudra, et nous nous emparerons du Portugal. » Junot, dans

  1. A Selim, 20 janvier ; au roi de Perse, 16 février, 30 mars ; à Talleyrand, 19, 20 mars ; à Decrès, 28 mars 1805.