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Missiessy. Il réunira ainsi 40 vaisseaux de ligne. Aussitôt il fera voile sur l’Europe, « en s’éloignant le plus possible de la route ordinaire et ne reconnaissant aucune terre ; » il se dirigera sur Boulogne, où il sera du 10 juin au 10 juillet. Des instructions conformes sont envoyées à Villeneuve, à Toulon. Mais, à cet amiral, dont il redoute les hésitations, Napoléon adjoint, pour le tenir « en énergie et décision » et le « pousser droit au but sans se laisser intimider » par les Anglais, le général Lauriston. Cet officier est porteur d’un pli cacheté qu’il n’ouvrira qu’après être sorti de la Méditerranée et qui contient le secret de l’expédition[1]. Le 3 mars, Junot est invité à presser le départ de la flotte espagnole : « Tout a été prévu, lui écrit l’Empereur, tous les ordres cachetés ont été remis. Ces ordres doivent être donnés secrètement et sans délai. » « Si la jonction est opérée, les deux nations, française et espagnole, auront vengé les insultes qu’elles ont reçues de ces fiers Anglais depuis des siècles. » « Je ferai une telle peur aux Anglais qu’ils seront forcés d’y tenir (dans la Méditerranée) une force imposante, car je menacerai l’Égypte de tant de manières et si évidemment qu’ils craindront un grand coup ; ils croiront que nos escadres vont aux Indes orientales. »

« La raison, les circonstances, mande-t-il à Decrès, tout indique que l’escadre de Missiessy est destinée pour les Indes orientales. » L’amiral Cochrane ira aux Grandes Indes, s’il ne reçoit pas de renseignemens. « C’est tout ce qu’un amiral et un officier général sensé doit faire dans sa position. » Nelson, toujours préoccupé de l’Égypte et inquiet pour la Sicile, fouillera la Méditerranée. Quand ils seront détrompés, quand ils apprendront le grand rassemblement aux Antilles, ils y courront à toutes voiles ; mais il sera trop tard, et la flotte française sera en route pour l’Europe. « Le but principal de toute l’opération est de nous procurer pendant quelques jours la supériorité devant Boulogne. Maîtres du détroit pendant quatre jours, 150 000 hommes, embarqués sur 2 000 bâtimens, achèveraient entièrement l’expédition[2]. » Il fait répandre le bruit d’une expédition aux Grandes Indes, qu’il veut reconquérir. On raconte que Lauriston se rend dans ces contrées, où son père a servi ; qu’un débarquement de 10 000 hommes a eu lieu en Égypte. Napoléon écrit à Cambacérès, qui n’est pas dans le secret et dont les confidences en

  1. A Lauriston, 2, 16, 22 mars 1805.
  2. A Decrès, 11, 12 avril, 4 mai ; à Villeneuve, 8 mai 1805.