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mers. « Ils se voient pris corps à corps, ils craignent pour les Indes, pour l’Amérique et pour leur propre patrie. » « Soyez certain qu’ils vont faire des expéditions de troupes et de vaisseaux pour l’Amérique et qu’ils ne garderont pas plus de 21 ou de 22 vaisseaux devant Brest. Défalquez les vaisseaux anglais qui poursuivent Missiessy qu’on croit aux Indes, et que 20 vaisseaux poursuivant Villeneuve s’éloignent pour quinze jours, les Anglais n’en pourront plus réunir que quarante, et la flotte française, retour des Antilles, en réunira soixante-cinq dans la Manche. » Mais Missiessy est-il en route ? Où est Villeneuve ? Ganteaume ne sort pas de Brest. Decrès, en ses rapports, délaie des objections sans fin. « Vous avez mis des si, des car, des mais. J’ai étouffé d’indignation… » « Il faut agir, agir ! n’importe où, n’importe comment, jeter la confusion en Angleterre. C’est un gouvernement occupé de chicanes intérieures et qui porte son attention où il y a du bruit[1]. »

Le fait est qu’à Londres, l’alarme a été chaude, et, à considérer l’émoi où les a jetés le seul soupçon, la seule dénonciation du projet de Napoléon, on peut se figurer leurs craintes, s’ils avaient appris, trop tard pour y parer, l’exécution de l’ « immense projet. » On lit dans le Morning Chronicle du 9 mai :


De toutes les conjectures qui ont été formées sur la destination de la flotte de Toulon, celle qui a fait le plus d’impression et causé le plus d’inquiétudes est que cette flotte, après avoir dégagé les escadres de Cadix et du Ferrol et balayé tous les blocus, pourrait se joindre à la flotte de Brest pour venir ensuite occuper le canal (la Manche), tandis que la flottille de Boulogne amènerait en Angleterre une armée de 100 000 hommes… Pendant les huit jours qui viennent de s’écouler, personne n’a dormi tranquille.


Mais l’Amirauté est prévenue et Nelson a flairé le piège[2]. Le 30 mars, Villeneuve a pris la mer. Nelson, qui le guettait à Palma, en est informé et, le 3 avril, se met à sa poursuite, tâtonnant sur les eaux désertes et sans sillage. Il suppose que Villeneuve est parti pour l’Egypte, menaçant peut-être Naples, au passage. Il l’y cherche. Le 9, il est devant Palerme. Le 19, il apprend que la flotte française a passé le détroit de Gibraltar, mais où va-t-elle, au Sud, à l’Ouest, aux Indes, en Amérique, en Irlande ? « Ma bonne fortune semble envolée, écrit-il le 20 avril.

  1. A Decrès, 25, 26, 27. 29 mai ; 9, 14, 22 juin 1805.
  2. Revue d’histoire, étude citée, août 1901 ; p. 448. Voir également, octobre 1902 : le Blocus de Brest, 1793-1805.