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VII

Lucchesini avait remis à Napoléon une lettre de Frédéric-Guillaume demandant des passeports pour Novossiltsof. Napoléon les envoya, mais par courtoisie pure envers le roi de Prusse. Il pensait de cette négociation tout justement ce qu’on en pensait à Pétersbourg. « La négociation n’aboutira à rien, écrivait Joseph de Maistre, le 11 juin. Novossiltsof me l’a dit sans détour, et le prince Czartoryski plus ouvertement encore, s’il est possible. » En effet, à peine arrivé à Berlin, Novossiltsof reçut l’ordre de retourner à Pétersbourg et partit le 18 juillet. « Les troupes sont en pleine marche, » écrit Czartoryski, le 19 juin. Et, le 2 juillet, le chancelier Woronzof : « Si Bonaparte acceptait les bases qu’on lui offre pour la paix et dont M. De Novossiltsof est le porteur, l’Europe serait, en quelque façon, rassurée et à l’abri de nouveaux bouleversemens. Mais il faudrait une espèce de miracle pour lui inspirer une pareille déclaration, et nous n’en voyons pas dans ce siècle, je veux dire de miracles. » « Ce qui le décidera, ajoutait, le 5 août, le même ministre, ce n’est pas la proposition de paix, que Bonaparte ne peut pas même admettre sans se reconnaître pour un pleutre… Ce n’est qu’une guerre heureuse contre lui et la reprise de tous ces pays qu’il s’est adjugés qui pourrait l’y forcer… Les Cabinets de l’Europe jugeront que Bonaparte ne pouvait accepter les conditions qu’on lui offre. Quant au motif et à la justice d’une coalition contre lui, elle ne peut être reconnue que comme juste et nécessaire par ses infractions du traité d’Amiens et de Lunéville, sa royauté d’Italie, l’usurpation de Gênes, et enfin tout ce qu’on peut attendre de son audace et de la puissance énorme et gigantesque qu’il s’est formée et qui menace toute l’Europe. » Pour espérer de la modération de la part de Bonaparte, disait le tsar, « il faut lui prouver que 200 000 Prussiens, 200 000 Russes et 300 000 Autrichiens, réunis aux forces de l’Empire germanique, sont prêts à l’attaquer. »

Les Russes poussent donc à fond la Prusse, Czartoryski avec l’arrière-pensée de l’envahir, le tsar avec l’espoir de la rallier. Dans tous les cas, en amis ou en ennemis, il faut s’assurer le passage. Ce sera la pierre de touche de la politique prussienne. Si la Prusse se dérobe, tout un plan, très insidieux, est arrêté