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pour lui forcer la main. Une note circonstanciée, est envoyée à Alopeus : « Une armée rassemblée à Brody est destinée à entrer dans les États autrichiens le 22 août. C’est à dater de ce jour que doivent être calculées toutes les mesures, tant militaires que diplomatiques, tendant à persuader ou à contraindre la Prusse à faire cause commune avec la Russie et l’Autriche. » Les Prussiens connaîtront l’entrée de l’armée russe en Autriche vers le 28 août. Alopeus recevra dans le même temps une lettre de l’empereur pour le roi, et une copie des traités signés par la Russie. Il les lira, s’en inspirera, mais il ne les communiquera à personne. Il invitera le roi à se coaliser, tout au moins à poser une médiation armée. Si le roi atermoie, donne une réponse dilatoire, Alopeus refusera de la transmettre. On compte que ces pourparlers traîneront du 28 août au 16 septembre. Cependant, les armées russes s’approcheront, 40 000 hommes destinés à opérer en Hanovre et réclamant le passage, 60 000 prêts à soutenir cette réclamation. Ces troupes seront prêtes à franchir la frontière prussienne le 28 septembre. Alors une seconde lettre de l’empereur sera remise au roi par Alopeus : si, le 23 septembre, le roi ne s’est pas décidé à se coaliser et à donner le passage, les armées russes le forceront. « Le parti est irrévocablement arrêté. » « La cour de Berlin cédait-elle ? écrit Czartoryski, le succès du plan de la Russie cessait d’être problématique. » Résistait-elle ? alors Koutousof la surprenait en pleine neutralité, « ses armées entièrement sur le pied de paix, » et occupait la Pologne. Nantis de la sorte de leur récompense future dans l’œuvre de justice, les Russes se trouveraient en bonne posture pour attendre Bonaparte. S’il venait au secours de la Prusse, il se divisait, laissait à l’Autriche le temps de respirer ; s’il poussait droit sur l’Autriche, il s’exposait singulièrement, et peut-être réfléchirait-il au danger où il courrait. Peut-être alors concevrait-il l’idée de traiter avec la Russie et « de partager la domination de l’Europe. » La Russie, tenant son lot, eût négocié avec tous les avantages. Cette arrière-pensée de haute politique doit être notée ici elle éclairo l’avenir. La fameuse évolution de Tilsit ne surprendra que les badauds, épris de coups de théâtre.

Restait à s’entendre avec l’Autriche. Le 29 juin, Rasoumowsky remit à Cobenzl une note pressante : la situation est décisive, que l’Autriche se prononce, on forcera la Prusse à marcher, on aura 500 à 600 000 hommes. Les Autrichiens hésitent encore.