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l’instant où il recevra la nouvelle de l’entrée des troupes russes dans les pays héréditaires, ne peut arriver jusqu’à nous avant que nos alliés nous aient rejoints et soient déjà avec nous sur le territoire de l’Empire. Ceci est calculé de manière qu’il n’y a aucune crainte à avoir à cet égard, surtout depuis que les troupes françaises sont dans un si grand nombre sur les côtes opposées à l’Angleterre. »

Les alliés pressaient Naples de se préparer, de se déclarer. Un négociateur russe, Lacy, était arrivé depuis le milieu de mai, secrètement, et, peu après, un officier, Oppermann, sous prétexte de santé. On épurait l’armée, on agitait le peuple. Les Anglais disposaient, en Sicile, une expédition maritime. Les Autrichiens estimaient que Naples mettrait en ligne de 30 à 40 000 hommes, qui, joints aux Anglais, venus de Malte, et aux Russes, venus de Corfou, formeraient une armée de 60 000 hommes qui écraserait le petit corps d’occupation de Gouvion Saint-Cyr. En réalité, les Napolitains n’avaient rien, ni argent, ni soldats ; mais ils se compromettaient et se livraient aux coups de Napoléon qui, victorieux en Allemagne, ne leur pardonnerait pas. Les avertissemens ne leur manquèrent point, et on le savait chez les alliés. « Depuis son retour de Milan, écrit un Russe, le sieur Alquier, ayant demandé une audience à la reine,… déclara que, si elle ne se retirait pas des affaires, le général de Saint-Cyr marcherait sur Naples au nom du prince héréditaire, qu’il y proclamerait roi, ou un infant d’Espagne, en cas que ce prince refusât. Ayant eu, ces jours-ci, un entretien avec le comte de Kaunitz, ministre d’Autriche, il l’invita à écrire à sa Cour que, si elle s’intéressait véritablement à la conservation des jours de la reine, elle ferait bien de l’engager à changer d’air[1]. »

Ainsi, trait pour trait, de Pétersbourg à Naples, c’est l’entreprise de 1798 qui recommence. Les alliés comptent que la ruine de l’empire des Gaules entraînera la chute de Napoléon ; que la République, si elle se rétablit, ne survivra pas à la perte « des limites ; » qu’une monarchie seule sera capable d’organiser une France assez libre pour se consoler de son effacement, assez faible pour rassurer l’Europe ; et cette couronne sera réservée au plus modeste, à celui qui signera le traité le plus rigoureux pour la France et donnera à l’Europe les gages les plus satisfaisans :

  1. Lettre de Tatistschef, 3 août 1805. Archives Woronzof. t. XVIII.