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Voilà pourtant ce que peut, — du moins on l’en accuse, — une loi bien intentionnée, mais mal faite : n’est-ce pas une preuve de plus que les législateurs, comme l’a dit Herbert Spencer, commettent parfois « des péchés, » et que parfois ces péchés légaux se changent, par la fatalité de leurs conséquences, en de véritables crimes sociaux ? Car la situation plus que fâcheuse que nous avons essayé de dépeindre en deux mots n’est point pour la Société des Forges et Chantiers de X… un peu enviable privilège : s’il en était ainsi, après s’en être pris à sa direction, à sa gestion, on devrait l’en plaindre, mais on pourrait s’en consoler, et ce ne serait qu’un fait de concurrence, un drame industriel de quotidienne banalité. Malheureusement, toutes les entreprises de même nature son firent au même degré du même mal, et c’est donc un mal général ; notre enquête s’en ressentira assez pour que nous avertissions que, dans l’industrie de la construction navale, nous n’avons pu, ainsi -que nous nous le proposions et que nous l’avons fait ailleurs, étudier le travail à l’état que nous avons théoriquement défini : « l’état normal » ou « l’état de santé[1]. »


II

La première opération de la construction navale, comme de toute construction, c’est l’établissement d’un plan ; et, pour faire un bateau, comme pour faire un palais, on fait d’abord « des plans fort beaux sur le papier. » On en fait beaucoup, d’ensemble et de détail, le navire entier et le navire pièce à pièce : de 300 à 400 pour un navire ordinaire, environ 800 pour un navire de guerre : un gros album. C’est à quoi s’ingénient, penchés sur leurs cahiers et sur leurs planches, tous ces calculateurs, tous ces dessinateurs. Et c’est vraiment leur coup de crayon qui doit se réaliser, se matérialiser à coups de marteau. Mais, si nombreux que soient leurs plans, et à si grande échelle, ils ne sont jamais, de cette réalité matérialisée, qu’une image très réduite. Il faut mettre au point, donner aux pièces, dont la force est ainsi indiquée, leur mesure, et, du geste, passer à l’être.

La deuxième opération est donc le « traçage, « qui est le dessin non plus sur le papier, mais sur le parquet, non plus à

  1. La même observation serait vraie, au surplus, de la métallurgie, qui, elle aussi, traversait une crise, dans la Loire du moins, au moment où nous l’étudiions.