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Dans l’âme de Pascal, il y avait une passion brûlante pour le bien. La haine du mal, le goût de la vérité, le mépris du mensonge et de l’imposture, l’horreur de toute impureté ne peut guère aller plus loin. Il serait beau, pourtant, que, de Pascal ôté Dieu et nommément l’Évangile, on fît le compte de ce qui reste. J’entends au compte de la morale. Et, quittant Pascal, dans l’homme, dans la Cité, dans l’univers ?

Rien.

Quoi ! Rien ? — Rien, que les griffes, la gueule, les crocs et l’appétit terrible de la bête. C’est la guerre au couteau entre tous les êtres. Le nom de lutte pour la vie n’y ajoute rien que l’idée d’un dessein suprême, où tend l’effort de la nature : Mange-moi, ou je te mange, — pour te convaincre de mon droit à te manger : voilà le fait.

La liberté d’une grande conscience tourne à l’esclavage des moindres. Une grande conscience ne va contre la morale que par amour de la morale ; ou, si l’on veut, de sa morale propre ; mais, de cette conscience-là et de ses œuvres, la foule des moindres consciences ne retient que les coups qu’elle porte, et ne s’occupe jamais de la cause qui les fit porter. Les argumens d’un cœur puissant et libre sont toute la thèse des autres : et le grand cœur leur manque, qui seul n’est pas sophiste. Si le nouvel Ictinos de la morale demande qu’on rase les ruines du Parthénon, pour élever à la déesse un temple digne d’elle, la multitude des citoyens, que l’occasion fait architectes, n’y verra qu’un conseil véhément de renverser tout l’édifice : quand on aura passé la charrue sur l’Acropole, qui rebâtira le Parthénon ?

Rien de ce qui se fonde n’a la force de ce qu’on détruit. Surtout, quand on se sert de la parole, et qu’on sape dans l’esprit. Les idées ont une violence qui laisse loin derrière l’effet de la dynamite. Elles ont créé le fait, et le fait n’a qu’à les suivre, dans un monde aux vertèbres si molles. Le propre des idées est de détruire ; elles donnent un exemple fatal, qui doit être suivi. Rien ne se fonde donc sur le Moi seulement, à moins d’un miracle. Il ne s’agit pas de convaincre : qui persuade les sentimens ? La partie active de l’éloquence agit bien plus comme un pitre, sur les gens, qu’à la manière de la logique sur l’entendement des géomètres. Un grand homme qui détruit a peut-être raison de détruire ; mais il n’a raison que pour lui. Souvent, il souffre mortellement de le faire.