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évacuer leurs postes et notamment l’île de Kharag. Les Européens chassés, l’anarchie régna en maîtresse sur les deux rives du golfe. Musulmans sonnites d’Asie Mineure, musulmans chiites de Perse, tribus plus ou moins indépendantes d’Arabie, pirates des îles, bataillèrent entre eux en des luttes incessantes et confuses et s’entre-déchirèrent sans que pût être établie une autorité sérieuse et incontestée dans ces parages. Au milieu de toutes ces guerres, la voie maritime de l’Inde par le golfe Persique finit par être abandonnée. Le commerce se détourna de cette voie qui n’offrait plus de sécurité, et fut forcé de prendre la route plus longue de l’Égypte par la Mer-Rouge.

Cependant la domination anglaise s’était affermie dans l’Inde. Devenue l’alliée du Portugal, qui avait réussi à secouer enfin le joug de l’Espagne, l’Angleterre s’était fait céder, en 1661, l’île de Bombay. D’autre part, la Compagnie anglaise des Indes, ayant eu la sagesse de restreindre momentanément son ambition à la possession de l’Hindoustan, s’était établie au commencement du XVIIIe siècle sur la côte de Coromandel, sur la côte de Malabar et en certains points du Bengale. Après avoir détruit la domination française dans la péninsule par les victoires remportées sur Lally-Tollendal et le traité Godeheu, qui la rendit maîtresse du Carnatic, puis brisé les forces de l’empire mogol à la bataille de Buxar (1764), elle avait imposé son protectorat sur la côte de Travancore et enlevé en 1792 au sultan de Mysore, Tippo-Sahib, la moitié de ses Etats. A la fin du siècle, elle chassait les Hollandais de Ceylan. C’est alors que, Portugais, Français, Hollandais ayant été éliminés successivement des Indes, l’attention de l’Angleterre se trouva reportée à nouveau sur le golfe Persique.

Ce ne furent point toutefois les besoins de son commerce ni l’ambition d’assurer à son pavillon le monopole de la navigation du golfe qui forcèrent cette fois le gouvernement britannique à s’occuper de ces régions. Les marchandises de l’Inde à destination de l’Europe avaient désappris la route de la mer Persique et de l’Euphrate. Ormuz n’était plus ; les marchés de Bassora, Bagdad, Diarbékir, Damas, Alep, étaient délaissés. Mais les graves événemens qui étaient survenus en Europe à la fin du XVIIIe siècle avaient eu leur répercussion en Orient. Une armée française avait débarqué en Égypte, occupé les bords du Nil, et Bonaparte projetait d’envoyer une expédition au secours de Tippo-Sahib, qui s’était révolté à nouveau et tenait les Anglais