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en échec. Il était question de faire passer à travers la Mer-Rouge une flottille française qui ferait son apparition dans l’océan Indien et inquiéterait les côtes de l’Inde. Déjà des instructions données au mois de décembre 1898 par le général en chef de l’armée d’Egypte enjoignaient au général Bon d’armer des felouques pour aller occuper le détroit de Bab-el-Mandeb. Un grave danger menaçait l’empire que l’Angleterre était en train de constituer à son profit dans l’Inde. Pour le conjurer, le gouvernement britannique chercha à s’emparer des deux grandes voies maritimes qui conduisaient à ses possessions indiennes : la route de la Mer-Rouge et celle du golfe Persique. Sur la première de ces routes, il fit occuper en 1799 l’îlot de Périm, au point le plus resserré du détroit de Bab-el-Mandeb et fit entrer dans son alliance le petit sultanat de Lahedj, situé non loin de Périm ? sur la côte méridionale d’Arabie. La mort de Tippo-Sahib, tué sur la brèche de Seringapatam, la victoire de Canope et l’évacuation de l’Egypte par l’armée française ne mirent pas un terme aux inquiétudes du gouvernement britannique. Napoléon, empereur, se rappelait toujours le plan qui avait hanté l’imagination du général en chef de l’armée d’Egypte et rêvait de frapper son adversaire au cœur de ses possessions indiennes. Seulement ce n’était plus par la voie de la Mer-Rouge qu’aurait été dirigée cette fois l’attaque. La flotte française était détruite ou partout bloquée, et la marine britannique était la maîtresse incontestée des mers. L’expédition devait emprunter la voie terrestre, traverser l’Euphrate au nord du golfe Persique et pénétrer dans l’Hindoustan par la frontière nord. En attendant l’apparition de l’armée française, des agens secrets envoyés par Napoléon parcouraient la région nord de l’Arabie et de la Syrie, cherchant à s’assurer le concours des tribus arabes, éclairant d’avance la route et préparant les peuples à de grands événemens. Alors l’utilité pour les maîtres de l’Inde de la possession de la route du golfe Persique se révéla sous un aspect nouveau. Jusque-là on s’était borné à considérer cette route comme la voie commerciale la mieux désignée géographiquement entre l’Europe et la péninsule indienne ; l’entreprise projetée de Napoléon fit apparaître son importance stratégique de premier ordre dans les conflits pouvant s’élever entre puissances européennes pour la possession de l’Hindoustan. De l’embouchure du Chatt-el-Arab dans le golfe Persique, une armée anglo-indienne pouvait en effet remonter le