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d’un État ne doit pas se mesurer toujours uniquement au chiffre de sa population et à l’étendue de sa surface. Koweït est un État minuscule et sa population n’excède pas trente mille habitans, mais sa position entre le Nedjed et les possessions turques de Bassora fait de son territoire le passage obligé d’une armée ottomane se dirigeant par terre de Bagdad vers l’Hasa et le Nedjed. De plus, le port de Koweït est une excellente base d’opération maritime et le cheïk de cet État était en mesure de fournir aux troupes turques les bateaux de transport nécessaires à leur débarquement sur le littoral de l’Hasa, en même temps que des équipages d’une valeur hors ligne. Les marins de Koweït, en effet, se distinguent entre tous ceux du golfe Persique par leur audace, leur adresse et la fidélité aux engagemens contractés. Grâce au concours que leur prêtèrent les gens de Koweït, les troupes turques purent attaquer, en 1871, l’Hasa par terre et par mer, s’emparèrent d’El-Katif et firent flotter le pavillon turc sur toutes les villes du littoral. Le gouverneur nommé par les Wahabites dut prendre la fuite, et l’Hasa est devenu depuis une dépendance du vilayet de Bassora. La Porte n’oublia pas d’ailleurs les services rendus, et, en reconnaissance de l’appui prêté, abandonna aux habitans de Koweït une zone de palmeraie de soixante kilomètres d’étendue le long du Chatt-el-Arab, au midi de Bassora. Le cheïk de Koweït reçut, à l’occasion de cette donation, le titre de kaïmakan et divers cadeaux, signes d’investiture de la concession territoriale accordée.

Mais, si l’Angleterre n’a pu placer sous son influence l’Hasa comme elle y a placé l’Oman, elle a pu en revanche faire graviter dans l’orbite de l’empire des Indes l’État de Koweït même. Pendant tout le cours du XIXe siècle, les chefs de ce petit État, tantôt s’appuyant sur les Wahabites pour résister aux Turcs, tantôt s’appuyant sur les Turcs pour s’opposer aux entreprises des Wahabites, avaient réussi par une habile politique à maintenir leur indépendance vis-à-vis de leurs deux puissans voisins. Ils avaient également déjoué toutes les tentatives de la Perse. Ils vivaient ainsi heureux en une sorte de petite république sous l’autorité purement patriarcale de leur cheïk. Leur État n’avait cessé de croître depuis le commencement du siècle en population et surtout en richesse. La bonté du climat, la sécheresse du sol, par-dessus tout le caractère paternel et tolérant de son gouvernement attiraient sur son territoire les tribus voisines qui