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peintre des mœurs ecclésiastiques ; et la « Comédie cléricale » prenait sous sa plume les airs d’une odieuse comédie. Car celui que, dès le séminaire, ses compagnons ont surnommé Tigrane, par analogie avec le tigre, dont il a les bondissemens terribles et la férocité, l’abbé Capdepont, est un prêtre zélé, pieux, et même vertueux selon l’Église ; — et c’est un coquin. Deux passions se partagent son âme, dont l’une est l’ambition, mais l’autre la haine. Il insulte, il calomnie, il frappe, il tue. Nous le traiterions en forcené et chercherions à le mettre dans l’impossibilité de nuire ; l’Église voit en lui une force qu’elle saura faire servir à ses desseins.

La même note se retrouve, dix ans après, et encore aggravée dans Lucifer. Tandis que Capdepont nous avait été présenté comme un affreux croquemitaine, l’abbé Bernard Jourfier est au contraire un personnage sympathique. Nature droite, cœur généreux, intelligence large, son défaut ou son supplice est de n’avoir pas l’âme ecclésiastique. « Le ton de votre langage m’épouvante, lui dit un prélat romain, et c’est moins par sa vivacité hors de toute mesure que par un tour trop direct où, passez-moi une expression hasardée, ne sonne pas assez l’âme ecclésiastique. Vous ne parlez pas comme un prêtre, vous parlez comme un laïque. Mon oreille a de singulières finesses pour entendre vibrer Dieu au fond de la voix humaine. Or, je trouve que Dieu ne vibre pas au fond de votre voix. L’homme, encore l’homme, toujours l’homme. » C’est sans doute une situation poignante, et d’illustres exemples l’ont montré, que celle d’un prêtre entré dans les ordres sans vocation et dont l’orgueil ne parvient pas à se fondre dans la parfaite humilité ; l’étude de ce drame intérieur est une de celles qui doivent tenter le moraliste et que d’ailleurs on peut pousser à fond sans qu’il en rejaillisse sur la morale ou la discipline chrétienne aucune espèce de défaveur. Mais le roman dévie sans cesse de ce sujet pour tomber dans une espèce de réquisitoire contre le gouvernement et l’esprit de l’Église. Le romancier qui, au besoin, ne se borne plus à conter, mais disserte et déclame, est tout occupé de faire ressortir ce qu’il appelle la « servilité » du clergé. Cela, à tous les degrés de la hiérarchie. Car l’évêque semble tout-puissant dans son diocèse, et il est bien vrai qu’il est le maître souverain de la destinée d’humbles prêtres qu’il peut, à son gré et suivant son bon plaisir, réprimander, déplacer ou interdire. Mais, lui-même, ce « tyranneau ecclésiastique » est sous la dépendance des congrégations, qui n’ont été instituées que pour le surveiller, le dénoncer, le murer dans son impuissance. On s’étonnerait de ne pas voir paraître en cette affaire