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les pénitences que tu leur as infligées ! » Et le bienheureux Pierre ajouta : « Sache en outre que tu as grièvement péché dans le jugement que tu as porté sur le frère Jean de Chester, qui est mort récemment ! Prie maintenant que le Seigneur daigne t’accorder une mort comme celle qu’a eue ce frère ! » Alors le frère Salomon s’écria : « Ayez pitié de moi, doux Jésus ! » Et celui-ci regarda le frère Salomon d’un visage si aimable, que toute son angoisse précédente aussitôt disparut, et qu’il se sentit rempli d’une joie singulière. Aussitôt il appela ses frères, et leur raconta ce qu’il venait de voir : ce dont ils ne furent pas maigrement consolés.


De tels hommes ne pouvaient tarder à vaincre la méfiance et le mauvais vouloir du peuple au milieu duquel ils venaient poursuivre l’œuvre de leur maître. L’exemple de celui-ci les avait littéralement enivrés de sainteté : chaque page du récit d’Eccleston nous offre quelque témoignage nouveau de l’état d’exaltation évangélique qui s’était substitué chez eux, sans trace d’effort, aux rudes et violens instincts de leur tempérament national. Supportant d’une âme légère le froid et la faim (à quoi ces jeunes Anglais avaient plus de mérite encore, on l’avouera, que leurs frères d’Italie), toute leur vie était pure et gaie comme un rêve d’enfant. « Mon père, disait un petit novice à son compagnon, un jour que tous deux avaient les pieds en sang après une longue course sur la neige durcie, est-ce que vous ne me permettriez pas de chanter, pour alléger notre route ? » Ils étaient si joyeux que, à Oxford, les chefs avaient dû menacer de la discipline ceux qui riraient trop souvent. « Une seule chose les attristait, dans la douceur de leurs âmes, c’était d’avoir sans cesse à se séparer. En conséquence de quoi les frères, lorsque l’un d’eux était envoyé au loin, avaient l’habitude de l’accompagner une partie du chemin ; et, à l’adieu, bien des larmes montraient de quel amour fraternel ils s’aimaient l’un l’autre. » Merveilleusement ils justifiaient la parole d’un de leurs ministres les plus fameux, le frère Albert de Pise, qui répétait souvent que les trois gloires de l’ordre étaient « des pieds nus, d’humbles vêtemens, et le mépris de l’argent. » Le mépris de l’argent leur était si naturel que, un jour, le frère Agnellus, ayant reçu l’ordre de venir à Londres pour examiner les comptes de la communauté, et après avoir désespérément essayé de comprendre ces comptes, avait jeté en pleurant les registres et papiers, avec cette exclamation ingénue : « Ces maudits chiffres ont eu raison de moi ! » Ils habitaient des cellules faites de boue et d’herbes sèches ; ou quand, par hasard, les bourgeois d’une ville leur bâtissaient une maison de pierre, bientôt, saisis de remords, ils détruisaient la maison pour la rebâtir avec de la boue : « ce qu’ils