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avec cette rapidité de coup de foudre, que parce qu’ils ont été médités, concertés de longue main. Il n’y eut en cette évolution ni jeu de scène, ni coup de théâtre, ni prestidigitation de génie : il y eut clairvoyance, prévoyance, conseil et enchaînement. « Je ne me butais pas à plier les circonstances à mes idées, disait-il, je me laissais en général conduire par elles. Qui peut, à l’avance, répondre des circonstances fortuites, des accidens inopinés ? Que de fois j’ai donc dû changer essentiellement ! Ainsi ai-je vécu de vues générales, bien plus que de plans arrêtés[1]. »


I

Le 20 juillet 1805, Napoléon appelle devant Boulogne Ganteaume resté à Brest. Tout est préparé, « tout sera embarqué, embossé hors de rade, de sorte que, maîtres trois jours de la mer, nous n’avons aucun doute sur la réussite... Vous nous mettrez à même de terminer le destin de l’Angleterre... » A Villeneuve, le 26 juillet : Ralliez les Espagnols à Cadix, au Ferrol, et arrivez devant Boulogne : « Si vous me rendez maître, pendant le seul espace de trois jours, du Pas de Calais, avec l’aide de Dieu, je mettrai un terme aux destinées et à l’existence de l’Angleterre. » Il estime que cette lettre trouvera Villeneuve à Cadix et que cet amiral rejoindra Ganteaume dans la Manche.

Tandis que ses courriers se hâtent vers Brest et vers Paris, il se reporte vers l’Allemagne. Pour lui, comme pour Alexandre, la Prusse est la pièce principale à pousser, et c’est le même jeu de la part des deux empereurs : la gagner, sauf à la payer très cher, si elle les sert bien, ou à la détruire, si elle les contrarie ou les combat. Talleyrand presse Lucchesini ; il offre le Hanovre : que la Prusse l’occupe pendant la guerre, elle le gardera lors de la paix ; Napoléon la défendra, avec 80 000 hommes, si la Russie et l’Autriche l’attaquent ; mais, par compensation, il exige qu’elle reconnaisse l’état dernier des choses en Italie, la réunion de

Gênes, la libre disposition de Parme et de Plaisance. Laforest,

  1. Archives des Affaires étrangères, Correspondance de Napoléon, Correspondances publiées par MM. Bertrand, Trattchewsky, Bailleu. Cf. le lieutenant-colonel Rousset : Rousset : l’art de Napoléon ; les ouvrages de MM. Desbrière, Alambert et Colin : la Guerre maritime ; la Campagne de 1805 ; ceux de Lefebvre, Thiers, Thibaudeau, Fournier, Hüffer, Ranke, Martens, Helfert, Oncken ; les Mémoires de Ségur, Miot, Czartoryski, Metternich, Comeau, la comtesse Potocka.