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le ministre de France à Berlin, compose, sur la même donnée, un long mémoire qu’il remet à Hardenberg, le 8 août : — « La Prusse ne doit point espérer de pouvoir rester spectatrice paisible des événemens. Entraînée dans le tourbillon, obligée de combattre sur le terrain que le hasard lui aura assigné, parce qu’elle ne sera plus à temps de choisir, elle regrettera vainement de n’avoir point prévenu des maux qu’il ne sera plus en son pouvoir d’empêcher. »

Le Portugal tombera de soi-même, si l’Angleterre succombe ; il le faut faire tomber, si l’Angleterre subsiste. Napoléon voudrait que l’Espagne se chargeât de la besogne. Le grand chancelier de la Légion d’honneur, Lacépède, continuateur de Buffon dans l’histoire naturelle, émule de Cuvier dans les emplois et la politique, mène cette a ffaire à Paris, avec Izquierdo, adjoint, pour l’intrigue de Godoy, à l’ambassade officielle de Charles IV à Paris. « Il me semble, disait Napoléon, que 60 000 Français sont trop considérables ; 16 000 Français et 60 000 Espagnols devraient être suffisans pour venir à bout du Portugal[1]. »

Nouvelles des flottes, réponses de Berlin et de Madrid, il décide de les attendre à Boulogne, au milieu de son armée. Les temps sont proches et l’événement décidera de ses résolutions. Il part de Paris le 2 août ; le 3, de Boulogne, il expédie à Talleyrand le canevas d’un discours à tenir à Louis Cobenzl, le ministre des Affaires étrangères, à Vienne. L’Autriche arme ; elle menace les frontières du royaume d’Italie : « Il est impossible que j’obtienne la paix avec l’Angleterre, si l’Autriche n’est pas véritablement pacifiée ; » si elle ne l’est pas, si elle ne rassure ni ne désarme, « dans l’impossibilité de soutenir la guerre maritime, il marchera en Allemagne pour pacifier entièrement l’Autriche ; » que la cour de Vienne y réfléchisse : « On ne peut plus se battre raisonnablement que pour les affaires de Constantinople, qui sont une pomme de discorde pour laquelle il est très probable que la France et l’Autriche marcheront réunies[2]. » Par Berlin, il adresse des insinuations plus claires : « Serbie, Bosnie, Herzégovine, Croatie turque, sont sous sa prise, s’ouvrent à elle. » Enfin, au prince Eugène : « Vous dites

que tous les bruits sont à la guerre. Il ne faut pas combattre ces

  1. A Lacépède, 26 juillet 1805.
  2. Je donne le texte rectifié d’après l’original qui se trouve aux Archives de Vienne. Fournier, Zur Textkritik der Korrespondenz Napoléons I. Vienne, 1903.