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bruits-là. Ce que fait l’Autriche, elle le fait vraisemblablement par peur[1]. » Donc, l’épouvanter.

C’est qu’il espère passer. « L’heure de l’Angleterre a sonné, dit-il, le 4 août. Nous avons à venger les défaites de Poitiers, de Crécy et d’Azincourt. Il y a cinq cents ans que les Anglais commandaient à Paris. Les Anglais sont maîtres de l’univers. On peut, en une nuit, se mettre à leur place. Ils ont conquis la France sous un roi fou ; nous conquerrons l’Angleterre sous un roi en démence. » « Si nous sommes maîtres douze heures de la traversée, l’Angleterre a vécu ! » Le 7, enfin, il apprend que Villeneuve a battu les Anglais devant le Ferrol, le 22 juillet : la jonction entre la flotte française et la flotte espagnole est opérée ! Trente-cinq vaisseaux sont réunis au Ferrol ; les capitaines, les matelots sont parfaits, écrit Lauriston, mais Villeneuve est mou, indécis, perplexe, sans audace. « Cette bête de Gravina, au contraire, n’est que génie et décision au combat ! » Vont-ils venir ? Ganteaume sortira-t-il de Brest ? Ces journées, du 9 au 12 août, marquent le point culminant de la crise, le tournant décisif des choses.

Jusqu’au 42 août, Napoléon se débat avec ses illusions ; il interroge la mer, scrute l’horizon, harcèle les vigies. À partir du 12, les illusions s’évanouissent ; il se reporte à la carte d’Allemagne, il s’y absorbe de plus en plus. Villeneuve n’a pas paru : le destin se déclare ; les probabilités tournent à la guerre continentale, et, dès lors, le grand revirement, conçu par lui, en ses heures de perplexité, va se disposer avec méthode, s’opérer par progrès, se dérouler par flots et vagues qui se poussent, ainsi que monte la marée, sous l’impulsion lointaine de l’Océan qui oscille dans sa masse.

Le 12 août, il écrit à Cambacérès : « L’Autriche arme ; je veux qu’elle désarme ; si elle ne le fait pas, j’irai avec 200 000 hommes lui faire une bonne visite dont elle se souviendra longtemps. » Il envoie, le même jour, à Talleyrand la matière d’une note à passer à Philippe Cobenzl, l’ambassadeur d’Autriche à Paris : — « On ne peut pas aller plus loin ; j’attends une réponse catégorique, parce que, sans cela, je ferai entrer des troupes en Suisse et je lèverai mes camps des côtes de l’Océan. »

Il mande à Eugène, le 13 : « Je marcherai sur Vienne avec

  1. A Eugène, 27 juillet ; Talleyrand à Laforest, 30 juillet 1805.