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bien contente d’être débarrassée d’un galopin de ton espèce… » V’là toute l’histoire, monsieur le commissaire… J’ai cru que le p’tit voulait rire ; le p’tit a cru que je parlais sérieusement et, hier au soir, quand vous l’avez envoyé porter des papiers sur cette Burgundia, il s’est faufilé dans la cale et il est parti pardessus bord… »

Pauvre vieille ! Toute tentative de consolation serait vaine : il n’est pas douteux que les choses se sont passées comme elle dit, et le commissaire ne proteste plus que pour la forme. Fil à fil, l’écheveau se débrouille : tels gestes, telles attitudes nous reviennent à la mémoire ; nous nous expliquons pourquoi le « p’tit » souriait si drôlement, quand le commissaire lui remit les papiers de la Burgundia et lui donna campos pour la soirée : à notre insu, nous lui tendions la perche, nous servions ses projets d’évasion. « Allons ! ma brave femme, du courage. Votre enfant reviendra. » La vieille n’entend pas ou ne fait pas semblant d’entendre. Elle sait ce qu’elle voulait savoir : il suffit, et déjà elle tamponne ses yeux avec son mouchoir à carreaux roulé en boule, rajuste sa cornette et, de son pas menu, se dirige vers la porte. Je la suis sur le seuil et, par les venelles escarpées de la morne cité malouine, hier bruissante comme une ruche, veuve à cette heure de la presque totalité de sa population masculine, je vois sa petite ombre falote qui dégringole de palier en palier, qui vacille, se dégrade et prend un caractère plus symbolique à mesure qu’elle s’imprécise dans le brouillard et qu’elle rentre dans l’anonymat de la grande souffrance universelle…

Charles Le Goffic.