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Il est possible que, d’ici à cinq ou six jours, j’envoie l’ordre aux corps du maréchal Bernadotte de se rendre à Würzbourg... Il devra alors traverser un pays neutre. Commencez à faire les premières démarches pour obtenir des facilités pour le passage, par l’intermédiaire de la Prusse... Dites au roi, seulement, que l’Autriche m’insulte trop et d’une manière trop évidente ; que, dans le fait, elle a déjà déclaré la guerre. »

Toutefois il ajourne à expédier cette lettre. Qu’attend-il ? Des nouvelles décisives, les nouvelles dernières et irrémédiables de la flotte. Le 31, il les a, et il envoie le courrier à Duroc avec ce post-scriptum : « Mon escadre est entrée à Cadix, gardez le secret... Tout est parti, je serai en mesure le 5 vendémiaire, 27 septembre. » Le 2 septembre, il est encore à Boulogne ; le 4, il rentre à Malmaison. C’est là qu’il reçoit les courriers d’Espagne, les rapports de Decrès, et que sa colère éclate : « L’amiral Villeneuve vient de combler la mesure... Cela est certainement une trahison... Villeneuve est un misérable, qu’il faut chasser ignominieusement. Sans combinaisons, sans courage... Au lieu de venir à Brest, il s’est dirigé sur Cadix, violant ainsi ses instructions positives. » Villeneuve était un marin sans génie et sans audace ; il ne craignait pas la mort, mais il n’avait pu soutenir la responsabilité du commandement ; il ne supporta pas le soupçon de lâcheté, et l’horreur qu’il en eut le jeta bientôt dans un coup de désespoir. Telle fut la fin de l’immense projet qui devait, en vingt-quatre heures, anéantir l’Angleterre. Napoléon ne pouvait plus désormais que la bloquer dans son île, l’affamer, la ruiner, lui faire la guerre des banqueroutes à l’intérieur, et la prendre à revers par l’Europe d’abord, jusqu’en Autriche, jusqu’en Pologne, jusqu’en Russie, puis jusqu’aux Indes. L’immense hyperbole commence. A la diversion fantastique par l’Amérique succède le mouvement tournant par l’Asie, à l’infini.


II

La première négociation à conclure, à brusquer au besoin, était celle de la Bavière : un pays sur lequel, de part et d’autre, on voulait passer. Maximilien, l’Électeur, beau-frère d’Alexandre, endoctriné par sa femme, tiraillé par les ministres de Russie et de Suède, pressé par Otto, se débattait entre ses désirs, la couronne royale, et ses affections de famille, ballotté entre la crainte