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Nous voudrions ne pas parler de l’attitude de la Grèce ; mais alors il manquerait un trait essentiel au tableau de la situation. On ne le verrait pas dans son ensemble. On ne comprendrait pas combien les races chrétiennes des Balkans se détestent les unes les autres, au point qu’il n’en est aucune qui ne préfère la domination de la Porte à celle d’une quelconque de ses rivales. La Grèce n’a rien à craindre aujourd’hui de la domination ottomane ; elle en a été affranchie, mais elle oublie trop facilement par quels moyens elle l’a été. Tous les journaux de l’Europe ont rapporté une conversation que le nouveau président du Conseil, M. Rallys, a tenue récemment aux membres du corps diplomatique, et, puisqu’elle n’a pas été démentie, il faut bien la tenir pour exacte. M. Rallys a très durement qualifié les tendances révolutionnaires des Bulgares macédoniens et exprimé l’avis que, si l’Europe laissait faire la Porte, celle-ci en aurait bientôt fini avec une insurrection qui menace la sécurité de tous. Nous ne voulons rien dire de désagréable à M. Rallys, et encore moins à son pays, mais un pareil langage a de quoi surprendre de la part d’un ministre hellène. Si, dans une histoire qui n’est pas encore bien ancienne, l’Europe avait laissé toute liberté d’action à la Porte, d’autres insurrections que celle de la Macédoine auraient été assez aisément écrasées dans leur germe, et certaines nationalités, d’ailleurs très sympathiques, qui se sont réveillées d’un long sommeil et ont été reconstituées entre les flots bleus de la mer Egée, attendraient encore l’heure de l’indépendance. Plus récemment encore, que serait-il arrivé si l’Europe n’avait pas arrêté l’armée ottomane victorieuse, et déjà sur la route d’Athènes ? Nous savons bien la distinction qu’on établit dans cette capitale toujours ingénieuse. Tout ce qu’on fait pour la Grèce est bien, tout ce qu’on fait pour la Macédoine est mal. Et pourquoi ? Parce que la Grèce a décidé dans son esprit que la Macédoine était à elle depuis Philippe et Alexandre, et que ce serait un crime contre la philosophie de l’histoire, contre l’ethnographie, contre la nature elle-même, de permettre qu’une parcelle quelconque en tombât entre les mains des Serbes ou des Bulgares, ou encore qu’elle se constituât en nation indépendante. Aucune de ces solutions ne saurait être acceptée à Athènes, où l’on ressent à coup sûr contre Boris Sarafoff et ses pareils plus de colère et de haine qu’on ne le fait à Constantinople. La Grèce n’a en ce moment qu’un désir, à savoir que la Turquie frappe très fort, toujours plus fort sur la malheureuse Macédoine, de manière à décourager ses aspirations à l’autonomie, et à la garder intégralement, comme un dépôt confié à sa fidélité, jusqu’au jour